Avec une population comptant 53 % d’analphabètes fonctionnels, il est difficile de prétendre que l’enseignement du français se porte bien au Québec. Tout comme il est difficile de nier les impacts de ce fléau sur le décrochage scolaire, les retards de diplomation, les difficultés d’adaptation de plusieurs au travail et dans la vie de tous les jours.
Une méthode qui ne convient pas
Je ne suis pas un partisan de la manière avec laquelle nous enseignons le français au Québec. Il suffit de se donner la peine d’ouvrir les cahiers en question pour comprendre à quel point la méthode utilisée requiert un niveau d’abstraction inutilement élevé.
Les composantes de cette méthode sont à ce point complexes, floues, pédantes et envahissantes et démotivantes que l’on en vient à se demander qui a bien pu imaginer une telle approche. On en vient aussi à douter que cette méthode ait été préalablement testée avec succès auprès des différentes clientèles.
Je rage chaque fois que j’ouvre les cahiers de mon fils. Pire encore, je me sens démuni comme parent quand vient le temps de l’aider et de l’inciter à persévérer. Chaque fois, me revient en tête le désaveu à mots couverts de ses professeurs envers une méthode qui est loin de faire l’unanimité parmi la communauté.
Un problème qui nous touche tous
Pour moi, la statistique du 53 % d’analphabètes fonctionnels que nous avons au Québec n’est pas une honte que l’on doit cacher. C’est avant tout un problème à exposer au grand jour pour le résoudre. Et pour cause.
L’enjeu est majeur, car plus que le simple fait d’écrire et s’exprimer correctement qui est en cause, c’est le bon fonctionnement de notre société qui est en cause. On est en présence ici d’une problématique fort coûteuse et débilitante qui mine la capacité d’adaptation au travail et toute la vie durant de dizaines de milliers de personnes.
Plus que cela, et c’est le beau côté de la chose, c’est que nous avons ici une occasion formidable d’améliorer les choses.
Malheureusement, hormis le cycle des déclarations d’intention, personne ne semble réellement vouloir donner un coup de barre. C’est comme si ce problème n’avait d’autre avenue que celle de le relayer au rang d’une action caritative comme avant la Révolution tranquille.
Un problème organisationnel
Dans la profession que j’exerce, l’on sait que la méthode adoptée est généralement le reflet de l’organisation qui la conçoit ou l’utilise. Dans ce cas-ci, il est clair que nous avons à faire avec un cas d’hyperspécialisation. En d’autres mots, les contenus et la méthode imposée sont ceux de spécialistes institutionnels qui décident pour le reste.
Que font-ils pour arriver à de tels résultats? Leur démarche est-elle basée sur des données probantes? Sont-ils conscients des statistiques alarmantes liées à leur démarche? À qui rendent-ils des comptes? Difficile à savoir. Force est de constater que poser ces questions revient à y répondre.
Mon diagnostic, aussi sommaire et peu objectif soit-il, est que nous sommes aux prises avec une technocratie du français. Au lieu de sonder et déterminer les besoins réels, ils substituent leur propre lecture à ceux-ci. Au lieu de données probantes, cette caste s’en remet à une validation par l’assentiment de leurs pairs.
Comment s’attaquer à ce problème?
Plutôt que de se lancer dans une nième réforme imaginée et décrétée dans un bunker ministériel, le Québec gagnerait à décloisonner le processus par lequel l’on détermine les besoins, les services offerts, et la méthode pour enseigner le français. Cela veut dire, entre autres choses, d’élargir le défi à d’autres exigences, méthodes et joueurs.
À agir de la sorte, on éviterait des décisions insensées comme celle de soumettre nos jeunes du secteur de la formation professionnelle à une version allégée de la présente méthode d’enseignement alors qu’on sait pertinemment qu’une méthode aussi abstraite ne convient ni à leur profil d’apprentissage ni à leurs besoins réels.
On réaliserait du coup que ces jeunes apprennent surtout par l’expérimentation. On comprendrait aussi que parmi leurs conditions de réussite dans leur vie professionnelle, il leur faut un français fonctionnel, et non celui imaginé par un universitaire déconnecté des exigences du milieu.
Laisser place à l’innovation
On sait qu’il existe au Québec un énorme potentiel de créativité ainsi qu’une capacité à développer des outils d’un nouveau genre. Pourquoi ne pas y recourir?
Des compagnies comme Druide informatique font beaucoup avec leurs produits et une petite équipe pour aider notre français au quotidien. Pourquoi ne pas susciter de telles contributions pour réimaginer la démarche dans son ensemble? Pourquoi ne pas profiter ainsi de capitaux et d’outils de prochaine génération pour élargir la démarche et mieux servir nos enseignants et nos apprenants?
Pourquoi accepter que le français et la communication en général soient aussi difficiles et inintéressant à enseigner et à apprendre sachant que nous pouvons rajeunir et rendre le tout plus attrayant, assimilable et plus utile que jamais?
Pourquoi faire de cette question un débat de société alors que la réponse repose dans la capacité à innover et à constituer une offre répondant mieux aux goûts, aux façons d’apprendre et aux besoins réels de nos gens?
Pour ceux qui ne le savent pas, l’éducation se mondialise et les contenus seront dans les années à venir le fruit de studios éducatifs. Pourquoi ne pas travailler à résoudre ce problème primordial en y allant d’approches innovantes de classe mondiale? Pourquoi ne pas faciliter ainsi l’émergence de produits et méthodes nous permettant de prendre la place qui nous revient sur ce nouvel échiquier?
Comme dans bien d’autres secteurs d’activités, le temps est venu de décloisonner et d’ouvrir le secteur de l’éducation à l’apport de nouveaux acteurs et à de nouvelles façons de faire. N’en déplaise à certains puristes, l’enseignement du français ne fait pas exception.