Introduction
Dans un texte précédent, nous avons introduit le premier de trois vecteurs susceptibles d’accroître fortement la performance du secteur de l’éducation et de la formation. Il s’agissait en l’occurrence du passage d’un système d’intermédiation académique pur à un système internalisant la compétence à partir des gens et des organisations qui excellent dans leur domaine respectif.
L’idée sous-jacente étant ici que nous assistons actuellement à l’émergence de puissants outils permettant d’internaliser à un niveau sans précédent la compétence de terrain à ce qui est enseigné dans le système d’éducation, principalement au niveau de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle, technique et continue.
Ce sont des outils nous permettant de surpasser la pratique académique trop souvent ensilée et abstraite et de la relayer par un profil de développement beaucoup plus puissant et complet sur le plan de la connaissance générale, la connaissance utile, le savoir-faire, l’expérience, les comportements et les attitudes requises. Tout cela, de manière à élever les chances de réussite des apprenants durant l’apprentissage, l’insertion et la progression dans le monde du travail et la société en général.
De manière à rendre plus concret l’apport de ce nouveau modèle de développement et le profil élargi de compétence qu’il permet, nous avons utilisé dans un texte complémentaire l’exemple des grands projets publics pour démontrer le rôle important que pourraient jouer les nouveaux outils de médiation (cours-réalité, simulations, plateformes collaboratives, etc.) pour faire de tels projets de grandes occasions d’apprendre. Des occasions que le modèle académique gaspille littéralement en raison du mur de verre le séparant du monde réel. Une situation qui à notre point de vue va à l’encontre des apprenants, des employeurs et d’une société qui gagnerait beaucoup à voir ses gens désormais compter sur un profil de développement plus fonctionnel et nettement plus réaliste par rapport aux véritables défis rencontrés hors des enceintes de l’école.
En lien avec ce qui précède, ce nouvel article porte sur ce que nous considérons être le second grand vecteur d’amélioration de la performance du secteur de l’éducation et de la formation. Il s’agit de sa prise en charge du secteur par des organisations de prochaine génération. Des organisations dont la performance réelle et d’autres facteurs vont leur conférer une supériorité allant obliger une réorganisation en profondeur du secteur dans les années à venir.
La plus-value des organisations de prochaine génération
La figure 1 illustre à notre avis les grandes caractéristiques des nouvelles organisations ainsi que le repositionnement qui s’annonce dans le secteur au cours des années à venir et qui va être la source à notre avis d’une augmentation considérable de la création de valeur dans ce secteur.
Comme vous pouvez le constater, ce graphique met en relation les deux variables de positionnement suivantes: la spécialisation technique du côté des contenus et des réseaux, ainsi que l’envergure géographique poursuivie par ces nouvelles organisations.
Le choix de ces deux variables n’est pas anodin. À notre avis, comme dans bien d’autres domaines, la mondialisation sera dans les années à venir l’un des grands vecteurs de croissance des organisations du secteur de l’éducation et de la formation. Le recours à un positionnement mondial va à la fois permettre aux joueurs actifs à ce niveau de capturer les meilleures ressources et de tirer, de se donner une masse critique et de tirer avantage de leurs positions sur les grands marchés stratégiques de la planète. Tout cela allant permettre en bout de piste au secteur de profiter de nouvelles économies et d’un développement sans précédent dans le développement d’applications et de réseaux étendus modernisés dont la performance sera considérablement augmentée par rapport à celle des systèmes nationaux dominant actuellement le paysage planétaire.
Le positionnement actuel
Pour bien comprendre la direction à venir, il est important de reconnaître d’abord où l’on se situe actuellement. Ce point zéro apparaît au bas du graphique. Il reflète à notre avis le positionnement générique de la plupart de nos écoles, nos universités, voire de nos systèmes et organismes nationaux d’éducation et de formation, du moins tel qu’on les connaît à ce jour.
Les trois principales caractéristiques de leur positionnement étant les suivantes:
- Des contenus et des médias de transfert peu évolués et à petite échelle. Pour autant que l’on se donne la peine de comparer leur progression à ceux de secteurs similaires (information, communication, informatique), on se rend compte que les contenus et les médias utilisés dans le monde de l’éducation de la formation ont relativement peu évolué durant les dernières décennies. Cette lenteur étant attribuable en grande partie attribuable à une logique d’intermédiation autarcique figée par toutes sortes de conventions professionnelles séculaires et syndicales influençant à la fois le développement et les modes de transfert des contenus. Il y a également une composante économique à ce retard. Dans la plupart des cas, les contenus d’enseignement sont amortis sur de très petits marchés, voire même quelques classes lorsqu’il s’agit de l’enseignement supérieur. Qui plus est, le financement de ces contenus et des médias de transferts sont caractérisés la plupart du temps par des marchés publics restreints dans lesquels les ressources financières sont essentiellement accaparées par la main-d’œuvre et l’immobilier. En outre, nous avons à faire ici avec des contenus reflétant davantage les intérêts et la culture de silos académiques que les besoins réels des apprenants. Enfin, la qualité des contenus et des transferts est très inégale à travers les différents systèmes, cette dernière allant souvent de pair avec des organisations sélectives s’adressant à l’élite.
- Des réseaux de première génération. La position sur le quadrant inférieur droit montre en outre que nous sommes actuellement en présence de réseaux intégrés de la vieille génération. Ce sont des réseaux nettement trop intensifs en main-d’œuvre. Les coûts indirects, de gestion, ainsi que les frais immobiliers sont très importants. Mais surtout, l’intensité technologique de ce genre de réseau est particulièrement faible si on les compare à des réseaux dans des secteurs similaires. Du point de vue économique, le retard est tout aussi considérable alors que ce genre de réseaux pyramidaux ont épuisé depuis longtemps ce que l’on pourrait appeler les économies de croissance (échelle, spécialisation, envergure, etc.).
- Des entités locales restreintes. L’absence des deux quadrants du haut montre enfin que le positionnement actuel de nos réseaux ne permet pas de concentrer suffisamment de ressources de classe mondiale. Tout au plus, l’enseignement supérieur tente de tirer avantage du marché international pour réaliser des revenus d’appoint par l’entremise d’une clientèle internationale favorisée. On mise également dans une certaine mesure sur le recrutement international des enseignants. Cela dit, cela change relativement peu le rendement et la dynamique de coûts du secteur. Qui plus est, ce positionnement géographique limité contribue à assujettir le secteur à une gouvernance et à un financement public déficient. Ce faisant, l’on se retrouve en ce moment avec des réseaux souffrant pour la plupart, sauf dans le cas des économies en forte croissance (Chine, Corée, etc.), d’un manque de moyens financiers pour investir dans une conversion à grande échelle, et non simplement dans les écoles reconnues, en matière de refonte des programmes, des corps professoraux et de recherche ainsi que dans les nouvelles technologies pourtant nécessaires pour suivre la cadence imposée par le rythme inédit d’innovation ainsi que le degré sans précédent d’intensification de la concurrence découlant de la mondialisation. Ce positionnement rend également nos systèmes prisonniers d’une gestion politique. Une gestion marquée par un mimétisme budgétaire à travers tous les secteurs de l’État sans égard à ce qui s’apparente de plus en plus comme un manque flagrant de vision des élus et des organismes sensés les conseiller. Ce faisant, on se retrouve avec une gestion politique et technocratique du secteur qui lague sur le plan de la stratégie requise pour relever les nouveaux défis du secteur, notamment sa mondialisation, son édustrialisation et l’arrivée de puissants concurrents risquant de tout remettre en question.
Bref, ce qui ressort à notre avis du positionnement actuel de nos secteurs respectifs de l’éducation et de la formation nationales, c’est que nous sommes actuellement à l’aube d’une rupture importante. Une rupture marquée à la fois par ce qui apparaît comme une désintermédiation obligée des contenus ainsi que le besoin de revoir en profondeur la logique d’intégration des réseaux actuels.
Le repositionnement à venir
Cinq sentiers de repositionnement sont illustrés ici pour donner un aperçu de la réorganisation du secteur et des organisations qui vont éventuellement dominer chacun des quadrants. Soulignons d’emblée que les zones vertes foncées illustrent à notre point de vue les zones de positionnement les plus susceptibles de créer le plus de valeur dans les années à venir.
1. Le marché applicatif mondial
Le premier grand sentier de création de valeur trouvera son point d’origine dans ce que nous avons appelé précédemment la désintermédiation académique des contenus. Ce sentier trouvera son apogée dans la prise en charge des contenus et des médias s’y rattachant au sein d’un marché applicatif mondial dans lequel l’on retrouvera des organisations de premier plan.
Trois effets moteurs seront à la base de cet important repositionnement:
- L’apparition de joueurs dédiés innovateurs et bien pourvus sur le plan technique et financier qui vont rapidement prendre avantage de la technologie numérique et des nouveaux outils de médiation. Ces organisations qui ont commencé à se manifester vont évoluer et éventuellement induire, à mesure que leurs modèles vont se préciser, une série de vagues de contenus et d’applications sans cesse plus sophistiquées, attrayantes et performantes sur le plan technique et économique;
- À l’instar du développement applicatif qu’a connu le monde de l’information, des communications et de l’informatique, l’engouement des apprenants, l’attrait financier, les économies d’échelle et l’apport des nouvelles technologies vont tour à tour accélérer le rythme d’innovation et le développement de ce marché applicatif;
- Enfin, ce nouveau marché d’importance va se financiariser sur des bases plus propices à la croissance que le financement public, notamment grâce à la possibilité d’en appeler désormais au capital de risque, à la capitalisation boursière et à l’arrivée de joueurs d’envergure mondiale (ex. Google, Apple, IBM, etc.) qui vont y voir non seulement un prolongement essentiel de leur mission stratégique pour éviter de se faire ainsi dépasser sur un secteur aussi colossal que stratégique.
2. Le marché applicatif local
Le deuxième sentier de création de valeur, certainement moindre que le premier, sera alimenté par le besoin de contenus et d’applications répondant aux spécificités locales. De plus, il sera nourri de l’instinct de survie des réseaux actuels qui chercheront par l’entremise d’intégrateurs et divers fournisseurs locaux, à soutenir, du moins pour un temps, leur mission plénipotentiaire par un recours à des contenus plus évolués, jusqu’à ce que leur écart de performance avec les organisations de classe mondiale les rattrape et les poussent finalement à se confiner à des créneaux de contenus locaux, à se conformer à des alliances avec les joueurs de premier rang, ou encore à disparaître.
3. Les réseaux mondiaux de prochaine génération
Le troisième sentier – le second en importance après le développement du marché applicatif – verra la création des réseaux mondiaux de prochaine génération.
Quatre effets moteurs vont contribuer à la croissance de tels réseaux:
- La force des réseaux ouverts mettant à la disposition des apprenants un réseau à la fois flexible et ouvert sur les meilleures ressources de la planète. Nettement plus axés sur la compétence réelle, ces réseaux auront des liens plus organiques avec les employeurs potentiels de manière à favoriser les activités de recrutement, formation continue et de recherche;
- La supériorité des nouvelles architectures d’acquisition du savoir. Ces réseaux auront aussi la taille et les ressources pour investir massivement dans les architectures d’apprentissage de nouvelle génération, notamment l’apprentissage adaptatif en temps réels et les plateformes d’assimilation des compétences en fonction de situations réelles. Ces réseaux offriront aussi un encadrement humain et virtuel en temps réel, ce qui contribuera à bâtir une relation d’intermédiation nettement supérieure à celle actuellement possible dans un régime purement académique;
- Une meilleure économie des ressources. Ces réseaux tireront avantage d’une utilisation nettement plus optimale des ressources matérielles, humaines et virtuelles.
- Leur mondialisation va générer d’importantes économies et une masse critique de ressources allant leur permettre de construire des réseaux évolués à partir desquels il deviendra facile d’acquérir et d’affilier les réseaux locaux.
4. Les réseaux locaux
Le quatrième sentier sera similaire au second, mais moins important au niveau de la création de valeur comme en témoigne la couleur vert pâle. En effet, compte tenu des importantes économies de taille associées aux réseaux, il est peu probable que les petits réseaux locaux puissent se tirer aussi bien d’affaire que leurs équivalents du côté des contenus. À terme, leur seule planche de salut sera vraisemblablement de se concentrer sur des créneaux peu attrayants pour les réseaux d’envergure mondiale.
5. Les tentatives d’intégration
Enfin, le cinquième sentier de création de valeur proviendra des diverses possibilités d’intégration verticale pouvant marier avantageusement des clientèles mondiales lucratives et de petits réseaux bien capitalisés allant permettant une meilleure gouvernance que les réseaux généralistes. Par exemple, il est vraisemblable que l’on verra des réseaux spécialisés s’intégrer horizontalement sur des segments lucratifs comme celui de l’ingénierie pétrolière. Un segment qui pourrait faire l’objet de la création de consortiums impliquant à la fois des universités et des employeurs d’importance pouvant, chacun à leur façon, prendre avantage d’une base de recrutement, d’un réseau de recherche, d’une plateforme dédiée pour parfaire en continu la formation de leurs employés d’une manière concrète et réaliste.
Une déclinaison similaire dans nombre d’autres spécialités (aérospatiale, informatique, médecine, biotechnologies, nucléaire, robotique, etc.) est également envisageable. Dans tous ces cas, la création de contenus avancés y gagnerait sur ce qui se fait présentement, et par le fait même les apprenants et les employeurs. Tout cela devenant possible par le fait que les réseaux généralistes et les écoles nationales dans ce domaine ne seraient pas en mesure d’offrir en soi les avantages techniques et économiques souhaités pour limiter le développement de telles niches.
À l’inverse, il est vraisemblable que les réseaux généralistes vont bien se tirer d’affaire lorsque viendra le temps de mettre sur pied de nouvelles entités visant une expansion mondiale, par exemple la mise sur pied d’un réseau mondial de lycées de prochaine génération. On peut également prévoir que des joueurs vont se montrer très agressifs pour mettre sur pied des réseaux éducatifs et formatifs à rabais, notamment dans les pays en développement, pour ensuite tirer avantage de leur envergure de marché et leurs bases technologique et financière pour ensuite se forger des entrées réussies sur des segments haut de gamme.
Il y a également fort à parier que le secteur faisant désormais l’objet d’une chasse ouverte attire aussi les firmes d’infrastructures et d’applications des autres secteurs qui voudront profiter de cette manne colossale et éviter du coup que le secteur devienne un tremplin à des concurrents éventuels. À mesure que le décloisonnement du secteur va s’opérer et que l’on va réaliser la portée des nouveaux réseaux, il y a en effet tout lieu de croire que des entreprises comme Google et IBM vont chercher à y aller de contributions majeures par l’entremise de plateformes, d’architectures de systèmes, de périphériques, d’applications et de services d’intégration de prochaine génération.
Conclusion
À la lumière de ce qui précède, trois conclusions nous viennent à l’esprit. La première concerne l’inéluctabilité de la transformation en profondeur du monde de l’éducation et de la formation dans les années à venir. En effet, même si la résistance sera forte pour des raisons évidentes (nombre et force politique des individus concernés, défense des acquis, pertes d’emplois, diminution du pouvoir des politiciens, perte de contrôle d’un secteur stratégique, déficit sévère dans plusieurs cas de la balance sectorielle en raison de systèmes importés et d’entreprises étrangères), le fait est que le secteur ne pourra éviter cette tempête parfaite sur le plan technologique, pédagogique et économique.
La seconde conclusion est ce qui va départager les gagnants des perdants, ce sera la rapidité à comprendre l’importance et à permettre l’introduction de sang neuf afin de faire le bond en avant permis par le passage le plus direct possible à des organisations de prochaine génération.
La troisième conclusion est que cette transformation ne pourra survenir à temps ni se faire de la manière souhaitable sans que l’on procède au préalable à d’importants changements au niveau du leadership et des mécanismes de gouvernance du secteur. D’ailleurs, cette question constitue à notre point de vue le troisième axe de la refonte du secteur. Un axe dont l’explication viendra conclure cette série.