Introduction
Le rehaussement de notre compétitivité constitue l’option la plus réaliste pour relancer la création de richesse au Québec. C’est aussi la façon la plus juste de corriger le déséquilibre de nos finances publiques tout en préservant nos principes de solidarité économique et sociale. Curieusement, le sujet est relativement absent de notre discours économique et de nos programmes d’enseignement, tout comme l’est d’ailleurs celui du fonctionnement spécifique de l’économie québécoise.[i]
Un survol des travaux de nos universitaires et de nos groupes de réflexion/think tanks (CIRANO, IRIS, IEDM, IRÉC, CPP-HEC, et l’IQ) montre en outre que notre intelligentsia économique s’est peu intéressée à la question de la compétitivité de nos entreprises au fil des ans.[ii]
Dans les médias, le constat est similaire. Malgré quelques interventions médiatisées sur le retard de nos entreprises, on ne peut pas dire que la question ait suscité l’attention qu’elle mérite.[iii] L’utilisation des principaux moteurs de recherche le confirme. Seule la presse d’affaires s’intéresse à la question, la plupart du temps sur la base d’articles ayant une portée restreinte ou de nouvelles se rapportant à des décisions ou des résultats d’entreprises.
Les sondages annuels de l’Association des économistes du Québec (ASDEQ) vont dans le même sens. Les enjeux identifiés comme étant prioritaires par les membres de l’Association s’inscrivent surtout dans le registre des facteurs conjoncturels et ceux relatifs à la gestion de l’État. Un survol rapide de la centaine de présentations faites lors des derniers congrès de l’Association révèle que la compétitivité de nos entreprises n’a pas été discutée depuis au moins 1994. Un survol rapide des thèses et mémoires du côté des étudiants en gestion montre un pattern de distanciation similaire.
La place que nous accordons à l’État dans notre discours économique est-elle justifiée?
Économiquement parlant, il ne fait aucun doute que la gestion de l’État constitue aujourd’hui un enjeu majeur pour le Québec. Comme le montre la figure 1, notre activité économique a beaucoup ralenti ces dernières années. Nos dépenses ont suivi une trajectoire différente créant ainsi des déficits récurrents. De sorte que l’on se retrouve aujourd’hui avec une dette qui est à la fois une grande source de vulnérabilité et un lourd fardeau au plan stratégique.
Cela dit, la place que le rôle de l’État et nos finances publiques occupent dans le débat actuel va bien au-delà du raisonnement économique. Cet intérêt démesuré relève avant tout de la politique. Plus que partout ailleurs en Amérique du Nord, l’État occupe chez nous une place prépondérante. Autant du point de vue économique que social.
Plus du tiers de nos emplois de qualité dépendent directement ou indirectement des programmes, des services, des investissements et du fonctionnement de l’État. Les prestations de services, les rentes, les subsides, les protections sociales, et bien plus encore, sont au cœur de la vie quotidienne de nos gens et de nos entreprises.
Cela fait beaucoup de votes, de voix et de parties prenantes dont le discours premier consiste à ne pas sortir perdant du moindre changement quant aux éléments précités.
Les limites d’un discours économique axé sur l’intervention de l’État et les finances publiques
Le problème inhérent à un discours aussi politiquement campé sur la gestion de l’État est qu’il a tendance à nous faire perdre de vue une réalité encore plus fondamentale et potentiellement plus dommageable que l’état de nos finances publiques.
Nous faisons allusion ici à la situation de nos entreprises. Celles, rappelons-le, qui créent la richesse supportant l’ensemble de notre échafaudage économique et social. Celles dont un recul éventuel aggraverait l’ensemble de nos problèmes économiques (rentrées fiscales, dette, chômage, investissement, financement des régimes de santé et de retraite, etc.).
La compétitivité : un enjeu désormais majeur pour le Québec
Pour bien comprendre l’importance de cet enjeu, il faut rappeler que la compétitivité de nos entreprises n’est plus un avantage acquis comme au bon vieux temps où l’économie américaine tournait à plein régime et qu’elle nous trainait dans le sillage de sa domination mondiale. Une époque où notre compétitivité avait surtout à voir avec une stratégie continentale dans laquelle nous trouvions notre place en vertu de nos bas salaires, nos ressources abondantes, notre électricité, nos subventions, la formation du capital par la socialisation de notre épargne et nos impôts élevés, ainsi que des exportations soutenues par un dollar faible.
Aujourd’hui, la domination de l’Amérique du Nord tire à sa fin et le positionnement de notre économie n’est plus garanti par les mêmes effets de proximité et d’intégration. À bien y regarder, on se rend compte que notre économie est en réalité plus à risque qu’elle ne l’a jamais été, principalement pour les raisons suivantes :
- Nos filières stratégiques (aluminium, aérospatiale, électricité et pharmaceutique) éprouvent aujourd’hui des difficultés qu’on aurait eu peine à imaginer il y a une décennie.[iv]
- Les interventions pour attirer et retenir les entreprises étrangères porteuses sont nettement plus difficiles et coûteuses à réaliser, pour peu qu’elles réussissent.[v]
- Pour la plupart, nos PME accusent un retard sur le plan de la productivité, de l’intégration des nouvelles technologies et de leur implantation à l’étranger. Tout cela nuisant considérablement à leur capacité de soutenir une concurrence mondiale qui ne cesse de s’intensifier.[vi]
- Notre secteur des ressources est moins compétitif qu’il était alors que le parc minier mondial se développe et que les grandes firmes concentrent surtout leurs efforts sur l’exploration et le développement de gisements de classe mondiale;
- Nous tardons aussi à voir émerger une relève de prochaine génération dans les secteurs d’avenir. En fait, la tendance est plutôt de voir nos entreprises prometteuses se faire cueillir avant que nous ayons pu profiter de leurs retombées financières et de leur savoir-faire de prochaine génération.[vii]
- Enfin, on ne le dira jamais assez, nos secteurs protégés représentent actuellement un risque stratégique majeur pour notre avenir. Leur rente de situation nous coûte cher. Mais surtout, ces entreprises tardent pour la plupart à élever leur jeu alors que l’on s’en va inexorablement vers une ouverture de nos marchés protégés et un débarquement de puissants concurrents allant impacter lourdement nos sièges sociaux, nos investissements, nos emplois à valeur ajoutée, la composition de la classe moyenne, etc.[viii]
Austérité ou compétitivité?
À notre avis, le rehaussement de notre compétitivité constitue dorénavant une condition non seulement nécessaire, mais prioritaire pour que le Québec puisse un jour renouer avec la prospérité. Deux raisons sous-tendent cette dernière affirmation.
La première découle les facteurs de réussite quant aux efforts de rééquilibrage économique en cours un peu partout dans le monde. Le principal enseignement étant à notre avis que les trois conditions suivantes doivent être respectées pour qu’un État comme le Québec retourne à une croissance probante.
- Il faut réduire les dépenses, mais surtout trouver de nouvelles façons de faire qui soient plus économiques si nous voulons à la fois préserver les fonctions de l’État et briser le cercle vicieux de l’endettement.
- Il faut que la répartition des efforts précédents se fasse équitablement parmi la population et les entreprises.
- Il est impératif de relancer la création de richesse sur des bases compétitives.
La logique d’ensemble est la suivante. Sans la réalisation simultanée des trois conditions précédentes, l’austérité simple induit une spirale appauvrissante et l’accroissement des inégalités. Sans la seconde condition, l’austérité pure et simple conduit, non sans raison, à l’agitation sociale. Sans la condition 3, l’absence de compétitivité dilapide les capitaux privés et les ressources de l’État. Le faible rendement sur les investissements exacerbe à son tour le problème de la dette et oblige le recours à des mesures d’austérité plus sévères. S’ensuit une contre-réaction politique à l’endroit des entreprises et des individus les plus fortunés. Ce dernier phénomène aboutissant à une désolidarisation et un exode parmi les entreprises et les gens les plus dynamiques de la société, particulièrement parmi les jeunes les plus talentueux.
La seconde grande raison de prioriser la compétitivité relève de la possibilité de profiter de la forte croissance sur les nouveaux marchés stratégiques. Des marchés qui sont de loin les plus payants et les plus stimulants pour notre économie, mais qui sont uniquement atteignables si nous sommes compétitifs sur le plan des coûts, de l’innovation, de l’entrepreneuriat et de la mobilisation en général.
Une telle compétitivité permet en outre de profiter des mouvements de consolidation (fusions-acquisition, désinvestissements, privatisations, ouverture des marchés, etc.). Or, cette remarque n’est pas anodine puisqu’il y a fort à parier que la prochaine décennie verra à travers le monde un grand nombre d’entreprises et d’organisations publiques disparaitre ou être transformées en raison de l’endettement public et de la cadence imposée par la mondialisation.
Un défi de taille pour notre avenir
Cela dit, être compétitif, à l’échelle mondiale par surcroit, ne relève pas simplement de la conviction, de la pensée positive et de l’action d’une poignée d’entrepreneurs profitant du support de l’État. Nous n’en sommes plus là. Aujourd’hui, l’atteinte d’un tel positionnement exige des transformations économiques et sociales majeures ainsi qu’une sérieuse remise en question en matière de stratégie, d’organisation, de savoir-faire, de réflexes, de conditionnements et d’attitudes.
Or, disons-le clairement, le Québec ne part pas gagnant à ce niveau. Comme nous verrons dans un prochain texte, la performance, la compétitivité et la mobilisation ayant marqué notre histoire économique depuis la Révolution tranquille, sont différentes de celles requises aujourd’hui. Il est important de le reconnaitre si nous voulons nous attaquer aux vrais problèmes avec les bons moyens.
Nous y reviendrons.
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[i] Ce commentaire est en lien avec un texte particulièrement éclairant de Pierre Fortin sur l’enseignement et le discours des économistes au Québec. http://www.economistesquebecois.com/files/documents/7p/04/pierre-fortin.pdf
[ii] Cette remarque résulte d’un tour d’horizon des axes de recherches et des études économiques répertoriées sur le site internet de chacun des organismes. Soulignons que la création de l’Institut du Québec est récente et qu’il est le seul à faire de notre compétitivité un des axes majeurs de sa recherche.
[iii] Nous faisons principalement référence ici au constat largement médiatisé de l’ancien Premier ministre Parizeau (février 2014) quant à l’état de notre économie et de nos entreprises. Il faut également souligner les travaux du Centre sur la productivité et la prospérité des HEC. On pourrait ajouter ici les interventions maintes fois entendues de personnalités connues ayant utilisé la faiblesse de notre économie et le retard de nos entreprises pour justifier l’importance de considérer notre potentiel du côté des hydrocarbures.
[iv] Nous faisons allusion ici aux problèmes de compétitivité et de surplus d’Hydro-Québec, au surplus mondial et à la diminution marquée de notre avantage énergétique dans le secteur de l’aluminium, à la concurrence accrue dans le secteur de l’aérospatiale et aux impacts potentiels de Bombardier sur cette importante grappe industrielle. Enfin, il y a aussi le problème de la conversion à faible valeur de l’industrie pharmaceutique qui passe d’un secteur à haute valeur ajoutée à un secteur de ventes et distribution.
[v] http://www.economistesquebecois.com/files/documents/4c/f5/christian-bernard-montr-al-international.pdf
[vi] https://www.desjardins.com/ressources/pdf/pv141016f.pdf?resVer=1413464616000
[vii] Les cas sont nombreux et les raisons aussi. Il en va de la faiblesse relative et de la distance de notre capital de risque des zones à haute intensité de développement. Il en va aussi des risques croissants que nos entreprises éprouvent à passer à un autre niveau de croissance. Le risque étant de confronter des concurrents d’envergure ayant les moyens de compliquer la vie d’un nouveau joueur ou simplement de l’acheter. Il en va aussi de l’attrait de joindre une entreprise de calibre mondial disposant des moyens et d’un réseau pour faciliter le développement à l’interne.
[viii] Nous assistons depuis quelques années à une prolifération des ententes de libre-échange. Une tendance qui ne va pas s’estomper considérant la puissance grandissante des multinationales et l’éclatement géographique de la production mondiale. La question pour nous est de savoir si l’on peut se contenter de résister ou s’il n’est pas plus opportun de compter sur des entreprises qui auront fait leur chemin au niveau mondial comme c’est présentement le cas de Saputo dans le secteur des produits laitiers.