L’importance d’accélérer le développement édustriel au Québec (1/2)

Au Québec comme ailleurs, la mondialisation va lourdement impacter le monde de l’éducation et de la formation. S’annoncent des changements dans les façons de faire et une concurrence inédite allant se solder par des pertes d’emplois importantes, une recrudescence de produits importés et l’omniprésence d’entreprises étrangères dans un secteur confortablement protégé jusqu’ici. Bref, des milliards sont désormais en jeu au Québec et encore plus ailleurs. Au menu de cet article en deux parties, a) les changements à venir et leur impact et b) les moyens permettant de séparer ceux qui parviendront à surfer sur cette vague plutôt qu’à se faire engloutir par celle-ci.

Un secteur important

Le secteur de l’éducation et de la formation occupe une place importante dans l’activité économique du Québec. Chaque année, nous y consacrons un somme surpassant le vingt milliards de dollars. Sa forte intensité en main-d’œuvre en fait un de nos grands employeurs sectoriels. Il est aussi l’un des grands contributeurs à la composition de la classe moyenne et à sa distribution régionale.

Sur le plan des retombées, notre complexe du savoir n’est pas en reste. Malgré un volume croissant d’importations de matériel didactique et informatique, ainsi qu’une présence de plus en plus remarquée d’entreprises étrangères, l’essentiel des retombées demeure à l’intérieur de nos frontières.

Mais ce qui rend cet outil collectif encore plus important de nos jours, c’est sa capacité à aider nos gens et nos entreprises à relever le défi sans précédent auquel le Québec est aujourd’hui confronté. Celui de devoir relayer la perte de compétitivité de plusieurs de nos industries hors coûts par des compétences et des entreprises de prochaine génération.

Un secteur à risque

S’il est acquis que notre complexe du savoir devra jouer un rôle plus important pour relancer notre création de richesse, la triste réalité est que ce dernier est lui-même de plus en plus à risque, et ce à trois niveaux.

Premièrement, la demande lui étant adressée est à la veille de changer radicalement et va obliger des modifications importantes de l’offre. Des modifications coûteuses, risquées et difficiles à réaliser, surtout dans le contexte d’une forte restriction budgétaire.

Deuxièmement, la situation économique et fiscale de plus en plus précaire au Québec fait que le secteur va continuer de subir de nouvelles vagues de compressions budgétaires. Des compressions qui vont s’avérer à notre avis plus importantes encore que celles récemment annoncées.

Troisièmement, le secteur est à la veille de subir une concurrence inédite risquant de tout bousculer sur son passage. Voyons cela plus en détail avant de discuter des moyens à mettre en œuvre.

1. Choc de la demande et crise de légitimité

Comme illustré à la figure 1, à l’épicentre de l’onde de choc qui va profondément modifier la demande, on retrouve la rencontre de deux grandes forces. La première est celle d’une économie québécoise en proie à une concurrence mondiale qui va en s’intensifiant et qui porte atteinte à la compétitivité d’un grand nombre de nos entreprises.

Or, bien qu’on en parle peu encore, le fait est que cette perte de compétitivité annonce une nouvelle vague de consolidation industrielle au Québec. Une consolidation qui, contrairement à celle des années 80, risque de s’avérer nettement plus douloureuse en regard de la perte de contrôle sur la propriété de nos entreprises et sur la situation de l’emploi. Ce dernier facteur étant de loin celui allant le plus moduler la demande dans les années à venir.

La seconde force qui risque de modifier tout aussi radicalement la demande concerne l’arrivée prochaine de systèmes d’apprentissage de prochaine génération. Des systèmes qui vont permettre à la demande de s’exprimer différemment en matière de contenus, de méthodes, de ressources d’enseignement ainsi que d’autres caractéristiques recherchées parmi l’ensemble des opportunités dorénavant disponibles.

Parmi les principales tendances à venir, soulignons un recentrage de la demande à la faveur:

  • des formations offrant les meilleures chances d’intégration et de progression sur le marché du travail;
  • des établissements et des programmes plus spécialisés dont les contenus et ressources sont les mieux adaptés aux besoins d’intégration
  • des réseaux intelligents se différenciant par un encadrement personnalisé en temps réel garantissant un apprentissage soutenu et un meilleur taux de réussite.

L’employabilité et la valeur pratique des formations faisant désormais partie des considérations-clés, nous devrions ainsi assister à un retour du pendule à la faveur des formations professionnelles et techniques, et ce à tous les niveaux (secondaire, collégial, universitaire et adulte). La formation continue, dont celle en emploi et en transition de carrière, deviendra aussi un important vecteur de croissance dans le futur.

Figure 1

Nouvelles tendances de la demande en éducation et formation au Québec

 Tendances de la demande en éducation et formation

De tels changements peuvent sembler anodins aux yeux de certains, mais ils ne le sont pas. Ils vont obliger de sérieuses remises en question de la part d’un grand nombre d’intervenants. Il faudra procéder à des réalignements majeurs de programmes. Il faudra aussi y aller de l’implantation de nouvelles méthodes pédagogiques, de passerelles d’intégration inédites et de contenus techniques et professionnels. L’orientation générale ne sera plus axée sur la capture de professeurs compétents mais sur la capture des compétences dans les entreprises et les organisations à la fine pointe, desquelles on pourra extraire, développer et transférer aux apprenants. Il faudra revoir de ce fait la formation, les rôles, la promotion, la composition, et l’adéquation du corps professoral aux besoins réels. Tout cela dans un contexte de résistance, de rareté financière et d’intensification de la concurrence n’offrant aucun répit.

2. Crise du financement public au Québec et désengagement de l’État

Le deuxième grand facteur de risque a trait au niveau d’implication de l’État dans le secteur. Il s’agit d’un risque majeur puisque nous parlons ici d’un secteur littéralement soutenu à bout de bras par l’État, et ce depuis longue date. Un secteur dont le fonctionnement relève essentiellement de la gouverne, du financement, de la réglementation, de mesures protectionnistes et d’une obligation de dépenser que l’État impose aux entreprises.

Or, le principal risque ici est celui du financement public. À la base de ce risque, l’on retrouve une situation économique qui s’annonce plus difficile que celle actuellement prévue dans les analyses conjoncturelles servant à établir les besoins financiers du secteur.

La figure 2 esquisse à grands traits cinq enjeux de taille qui ne sont pas directement pris en compte dans les prévisions de croissance du Québec et qui pourtant risquent d’impacter lourdement notre création de richesse et, par le fait même, les argents disponibles pour financer les dépenses en éducation et en formation.

Après lecture de ces enjeux, peut-être serez-vous tenté comme moi de penser que le Québec a besoin actuellement d’une bonne dose de réalisme au plan économique. Car, à moins que le Québec ne gagne la loto géologique dans les prochaines années, ou que nos entrepreneurs sortent des lapins de leurs chapeaux dans un contexte concurrentiel sans précédent, il est fortement probable que l’on se destine vers de nouvelles vagues de réduction des dépenses publiques, y compris en éducation. D’autant que notre surendettement risque de s’avérer un problème encore plus criant dans les années à venir alors que les rentrées fiscales pourraient être sévèrement impactées et que les taux d’intérêt pourraient grimper.

Figure 2

Enjeux économiques et crise du financement public au Québec

Enjeux économiques Québec et crise des finances publiques

Par ailleurs, il n’y a pas que la situation financière précaire du gouvernement qui risque d’influencer la contribution future de l’État au secteur. Il y a aussi des considérations politiques qui risquent d’envenimer la situation. En effet, nous devrons composer dans les prochaines années avec une population vieillissante qui n’hésitera pas à faire usage de la balance du pouvoir pour forcer les dépenses en santé, en sécurité du revenu et les politiques de support à l’emploi plutôt que celles en éducation et en formation. Mais surtout, comme dans bien d’autres régions du monde, il deviendra de plus en plus évident que l’État n’aura pas le choix de se désengager d’un secteur dont il n’aura plus les moyens techniques et financiers d’assumer la compétitivité.

3. Mondialisation et concurrence

De fait, cette recherche d’alternatives à nos réseaux existants ainsi que la montée en puissance de nouveaux joueurs constituent sans aucun doute la plus importante menace qui pèse sur la configuration actuelle de notre complexe du savoir.

Pour mesurer pleinement la portée de cette dernière affirmation, il faut comprendre que le marché de l’éducation et de la formation sont tous deux en train de se mondialiser. D’un ensemble hétéroclite de systèmes nationaux protégés auxquels se greffent des entreprises de formation de petite envergure, nous sommes en train d’assister au passage vers un marché mondial éventuellement dominé par des entreprises d’envergure.

Comme nous l’avons illustré à la figure 3, ce repositionnement est en train de s’opérer en vertu de quatre axes stratégiques distincts, soit :

  • l’émergence d’un marché applicatif mondial
  • l’avènement de réseaux intelligents de prochaine génération
  • une course sans précédent à la spécialisation
  • et une mondialisation du marché basée sur l’extensibilité des technologies (scalability) et d’autres genres d’économies d’échelle et d’envergure.

Figure 3

Comprendre la mondialisation du secteur de l’éducation et de la formation

 Repositionnement des réseaux

Comme on peut facilement l’imaginer, ce genre de concurrence n’a rien à voir avec les luttes somme toute puériles que se livre nos établissements pour se ravir des clientèles. Rien à voir non plus avec les coups de gueule de nos gestionnaires aux prises avec des ressources budgétaires déclinantes et des structures de gouverne de plus en plus débilitantes.

On ne peut se montrer guère plus optimiste quant aux efforts d’adaptation actuellement déployés. Des efforts nécessaires, mais qui pour la plupart feront parure d’étoiles filantes dans le firmament des réformes et des fuites en avant que les contribuables québécois ont défrayés au fil des décennies, et pas seulement en éducation.

La concurrence qui s’annonce a aussi peu à voir avec le repositionnement actuel de nos éditeurs scolaires dont la stratégie et la rentabilité reposent encore sur des protections de marché et des ententes partenariales destinées à nous accommoder de produits étrangers d’avant-garde.

Enfin, tout cela n’a rien à voir non plus avec nos entreprises de consultation, de formation, de recherche, de jeux éducatifs, d’ERP dédiés et d’e-learning surfant dans bien des cas à l’ombre de l’arrivée de joueurs et de plateformes d’envergure risquant de les décimer ou de les avaler en un rien de temps.

Quelles incidences sur le Québec?

Qu’il soit clair que de tous les changements que nous venons d’évoquer n’ont pas de quoi miner la qualité de l’éducation et de la formation au Québec. Je ne crois pas non plus que de tels changements vont nous obliger à payer plus cher collectivement que ce que nous payons actuellement. Cela ne nous ramènera pas non plus au système élitiste et à deux vitesses des années 50.

Certes, le gouvernement ne pourra financer aussi généreusement que dans le passé l’éducation et la formation, mais dans l’ensemble je crois que l’on peut s’attendre à des améliorations notables sur chacun des aspects précités.

En revanche, l’enjeu qui nous inquiète le plus c’est que le Québec y perde beaucoup plus que nécessaire en matière d’emploi et de retombées économiques.

En effet, à voir ce qui se trame, il ne faudrait pas se surprendre que d’ici dix ans, la balance des échanges du secteur enregistre des déficits annuels  de l’ordre de plusieurs milliards de dollars. Des déficits récurrents s’expliquant à la fois par de nombreuses pertes d’emplois et une hausse vertigineuse de contenus, applications et systèmes intégrés conçus, développés, et opérés ailleurs que chez nous.

Tout comme il est probable que dans un tel scénario le Québec se trouve désormais habité par quelques studios éducatifs tributaires du financement gouvernemental et des réseaux-succursales qui serviront de pipelines à une création de valeur hors de nos frontières.

Or, bien que ce scénario puisse sembler inéluctable, la réalité est qu’il n’est pas trop tard pour tenter d’améliorer notre sort. Du moins, pour autant que nous ayons la vision, le courage, le sens entrepreneurial et que nous acceptions collectivement de nous donner les moyens d’agir maintenant. C’est ce dont il sera question dans la suite de ce texte.

(Suite)