Vers une révolution parfaite en éducation et en formation

 

Introduction

Dans le monde des organisations, nous parlons d’une révolution parfaite lorsque les trois conditions suivantes sont respectées. Premièrement, un changement d’importance survient et améliore considérablement le processus de création de valeur. Ce changement peut résulter d’une innovation de produits, une technologie disruptive, une expansion de marché, un différentiel majeur de coûts, etc. Deuxièmement, la façon de créer cette plus-value est à ce point différente qu’elle implique la mise sur pied d’organisations plus performantes que les précédentes. Troisièmement, la supériorité de cette nouvelle génération d’organisations est telle que les acteurs établis doivent céder leur place ou se transformer. Leur pouvoir de marché s’étiolant rapidement, ils ne peuvent plus s’imposer au détriment des autres parties prenantes.

Ainsi, une fois ces trois conditions atteintes, nous passons à un système dont la performance atteint un niveau plus élevé au bénéfice de l’ensemble des parties prenantes. C’est à notre avis ce genre de révolution qui attend le secteur de l’éducation et de la formation dans les prochaines années.

Un aperçu historique

L’histoire des organisations suggère l’existence d’un certain nombre de révolutions dites parfaites. La révolution industrielle à la fin du 19e siècle se qualifie certes parmi celles-ci. Cette période a été marquée par de grandes innovations technologiques ayant permis l’apparition d’industries et d’organisations jusqu’alors inédites. En l’espace de quelques décennies, les structures industrielles ont pris le dessus sur les structures agraires et nous ont libérés au passage des entraves économiques et sociales liées au féodalisme.

Plus tard, la division scientifique du travail, la mise sur pied d’un système financier international, ainsi que le développement d’un corpus de connaissances en gestion d’organisations complexes ont donné naissance aux conglomérats et aux multinationales. Ce fut le point de départ d’une révolution qui a ouvert toutes grandes les portes a au progrès technologique et à une production mondiale diversifiée et à moindres coûts.

Cependant, la révolution la plus parfaite de toutes a été de loin la révolution numérique. Celle-ci a généré une création massive d’une plus-value résultant des améliorations successives apportées aux processus par lesquels nous pensons, apprenons, communiquons, créons, inventons, concevons, organisons, agissons et transigeons entre nous.

Au cœur de cette révolution, nous trouvons des joueurs dont l’intelligence et la programmation embarquées de leurs appareils et applications ont permis d’une part la mise en place d’organisations plus performantes que jamais, et d’autre part une mise au rancart sans précédent de modèles d’affaires et de procédés dépassés.

Le cas de la téléphonie mobile

Ce cas illustre le mieux à mon avis l’impact de la révolution numérique. La plus-value réalisée dans ce marché au cours des deux dernières décennies relève tout simplement du prodige. Grâce à la dynamique de la concurrence par l’innovation des écosystèmes applicatifs du secteur, nous avons assisté depuis à un afflux massif de technologies, de capitaux, de produits et d’applications révolutionnaires. Un afflux ayant fait en sorte que nous disposons aujourd’hui de dispositifs intelligents de pointe à la portée de tous qui ne cessent chaque jour de transformer nos vies et celles des organisations nous entourant.

Quatre leçons liées au fonctionnement de ce marché nous paraissent importantes à faire ressortir dans le contexte de la présente discussion.

Premièrement, il est clair que si nous n’avions pas eu affaire à un marché aussi dynamique, nos entreprises traditionnelles de télécommunications n’auraient jamais été capables de générer une offre de produits et services d’une aussi grande valeur pour nous. Nous serions vraisemblablement toujours à subir leur structure oligopolistique. Grâce aux milliers de contributeurs qui se sont depuis évertués chaque jour à amasser des ressources financières et techniques pour mettre en œuvre des améliorations de toutes sortes, nos besoins n’auraient jamais été aussi bien pris en compte qu’ils l’ont été durant les dernières années.

Deuxièmement, sans l’arrivée de nouveaux joueurs venus bouleverser le pouvoir de marché des joueurs établis, il y a fort à parier que nos gouvernements et nos organismes de régulation n’auraient pas autant bougés qu’ils l’ont fait depuis pour déréglementer le secteur et laisser davantage de place à une concurrence garante d’un meilleur niveau de performance et de prix de plus en plus abordables. Sans une telle alternative, ces derniers n’auraient pas été à la hauteur des attentes de leurs commettants et l’on paierait sans doute plus pour moins.

Troisièmement, la révolution numérique dans son ensemble n’aurait pas été un aussi grand succès. Nous n’aurions pas aujourd’hui des services en ligne aussi nombreux et répandus. Juste à voir la croissance phénoménale des activités transitant aujourd’hui par les plates-formes mobiles, il est clair que nous ne donnons pas tout le crédit qui revient au rôle des marchés applicatifs pour avoir décloisonné et accélérer la révolution numérique et tasser au passage des modèles d’affaires dépassés comme ceux des écosystèmes propriétaires à la Microsoft.

Enfin, n’eut été de marchés laissant libre cours aux pratiques innovantes, je crois que plusieurs des secteurs de notre économie seraient encore aux prises avec des joueurs établis qui, loin de se concentrer sur la création de valeur et la satisfaction des besoins de leurs clientèles respectives, seraient encore à essayer de maximiser la durée de vie utile de technologies, de produits, de processus, d’organisations et d’emplois aujourd’hui dépassés. Sans doute qu’on les verrait encore s’agiter en coulisses pour maintenir les barrières protectionnistes et limiter au minimum les coûts et les risques associés à une course à l’innovation dans le but de protéger les primes et des rendements de leur direction et de leurs actionnaires. Bref, sans la révolution numérique, il est certain que nous n’aurions jamais pu bénéficier d’autant de progrès et d’investissements dans des entreprises et des emplois qui sont devenus depuis des éléments importants de la création de richesse pour nous et les prochaines générations.

Pourquoi l’éducation serait-elle en voie de connaître une révolution parfaite?

Quand je regarde présentement le secteur de l’éducation, je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle avec ce qu’était à l’époque le marché de la téléphonie; soit un marché bien campé dans les mains de réseaux nationaux opérant sur des territoires protégés et contrôlant pratiquement l’offre et le rythme d’innovation.

Mais surtout, je vois les trois mêmes grandes conditions qui sont en train de faire du secteur de l’éducation un candidat idéal pour une révolution parfaite.

Premièrement, je vois d’énormes changements économiques et technologiques qui vont radicalement modifier l’offre de produits et services dans les prochaines années.

Deuxièmement, je vois de puissants joueurs émerger et qui sont en train de définir les nouveaux standards de performance de demain.

Troisièmement, je vois des joueurs établis dont la création de valeur s’étiole et qui sont en voie de perdre l’appui des clients, des employeurs et des gouvernements.

La figure 1 résume à grands traits les grandes raisons selon lesquelles nous pensons que le secteur de l’éducation et de la formation fera l’objet d’une transformation radicale au cours des prochaines années. Pour ceux qui veulent pousser plus loin l’analyse, je vous suggère de poursuivre la lecture au-delà du présent graphique. (cliquer sur image pour agrandir)

 Trois axes d'une révolution parfaite en éducation et en formation

1. Une plus-value colossale désormais en jeu

Comme le suggère le contenu de la première colonne, on s’attend à la création d’une importante plus-value au cours des prochaines années en provenance de trois sources distinctes.

1.1. Le rajeunissement de l’offre de produits

La première source de création de valeur proviendra d’une offre renouvelée dont la performance sera nettement supérieure à l’offre actuelle. L’explication derrière ce renouvellement est simple. Le marché de l’apprentissage bénéficie présentement de deux tendances lourdes. D’une part, nous avons présentement une large gamme de technologies de pointe qui amorce leur entrée dans le secteur de l’apprentissage. Il s’agit de technologies qui vont permettre de numériser, virtualiser, supporter, encadrer et mesurer en temps réel les apprentissages au point ou ces derniers seront plus accessibles et plus faciles à assimiler.

D’autre part, ces technologies ouvrent la porte à de nouvelles façons de faire qui vont se solder par de vastes économies d’échelle et de réseau qui vont bénéficier largement à l’ensemble du secteur.

À l’instar de ce que nous avons vu dans le domaine de la téléphonie, notre hypothèse est que la combinaison de ces  tendances technologiques et économiques va donner naissance à un marché applicatif mondial. Un marché dont la supériorité sur le plan de l’innovation, de la structure de coûts et du modèle d’affaires permettra un bouleversement de l’offre. Cette offre rajeunie allant à notre avis largement supplanter celle générée actuellement par des structures de production et de distribution artisanales, archaïques, coûteuses, de qualité variable et à trop petite échelle de nos réseaux éducatifs actuels ainsi que la plupart de nos entreprises de formation.

Grâce à un tel marché applicatif, à l’intérieur duquel nombre d’entreprises de prochaine génération compétitionneront, nous aurons désormais accès aux meilleures ressources de la planète qu’il s’agisse de contenus, applications et composantes réseau de pointe. De tels développements autrefois considérés comme prohibitifs pourront désormais être amortis sur une clientèle à l’échelle planétaire. En raison d’une économique plus favorable, ces développements n’auront aucun problème à trouver des entreprises prêtes à se lancer dans l’aventure et des pourvoyeurs de fonds prêts à prendre le pari de miser sur le prochain killer app mondial.

Cette nouvelle dynamique nous permet d’entrevoir des développements majeurs de toutes sortes dont voici quelques exemples. Du côté applicatif, nous nous attendons à voir dans le courant des prochaines années la conception en série de simulateurs d’apprentissage dont le développement sans cesse plus sophistiqué résultera d’une collaboration étroite et continue entre chercheurs, praticiens, pédagogues et employeurs de haut niveau.

On devrait aussi voir de nouvelles formes plus avancées de transmission du savoir remplacer les cours magistraux. Par exemple, on s’attend à ce que les technologies-médias en temps réel permettent d’offrir dans les prochaines années des cours-réalité virtualisant le précieux vécu des milieux de travail à la fine pointe. Ainsi, les apprenants pourront non seulement avoir une juste représentation des connaissances requises actuellement en contexte de travail, mais ils pourront aussi du coup avoir une bien meilleure idée des compétences et des comportements requis pour réussir leur intégration au travail et dans la vie de tous les jours.

Toujours du côté applicatif, on s’attend à des investissements importants dans le développement de jeux sérieux ou toutes autres formulations pouvant augmenter l’attrait, la quantité et la vitesse d’assimilation des apprentissages. On verra vraisemblablement des développements importants du côté de la virtualisation des laboratoires et des bibliothèques ainsi que la création de nouveaux outils augmentant le rythme d’apprentissage (éductivité). On verra aussi davantage de produits populaires d’apprentissage axés sur l’édutainment.

Du côté des systèmes-applications, on s’attend à la création de périphériques spécialisés et surtout à des assistants personnels d’apprentissage dont l’intelligence artificielle embarquée, la programmation avancée et le recours optimal et en temps réel aux diverses ressources disponibles (physiques, humaines et virtuelles) permettront d’optimiser la progression de chaque participant en fonction de son parcours spécifique, ses besoins, ses forces et faiblesses.

Cela dit, le point le plus important, ce ne sont pas tant les exemples que je viens de donner ou ceux que vous pourriez avoir en tête, mais plutôt le fait que des milliers de contributeurs potentiels partout dans le monde pourront désormais réunir les ressources appropriées et laisser libre cours à leur imagination pour faire exploser la qualité de l’offre au-delà de ce qui est présentement possible à l’intérieur des réseaux actuels.

1.2. Gains d’efficience des nouveaux réseaux

La seconde source de création de valeur proviendra selon nous des gains d’efficience liés à l’implantation de ce qui est aujourd’hui convenus d’appeler les réseaux éducatifs et formatifs de prochaine génération.

À notre avis, le cycle de vie des réseaux actuels tire à sa fin. Ces derniers s’apprêtent à être bientôt remplacés par des réseaux ouverts. Par réseaux ouverts, nous entendons des réseaux offrant désormais aux apprenants un accès aux meilleures ressources disponibles dans le monde entier. Ainsi, il ne sera plus question de s’en remettre à des ressources locales titularisées à vie avec les limitations que ces dernières obligent en matière de contenus, méthodes d’enseignement, processus d’apprentissage et systèmes.

Au lieu, ces nouveaux réseaux seront désormais axés sur ce que l’on pourra désormais appeler des environnements d’apprentissage intégré à haute efficacité. En d’autres termes, au lieu de réseaux fondés sur les ressources professorales et les classes, nous aurons désormais affaire avec des réseaux misant avant tout sur l’acquisition de contenus, des applications à la fine pointe, un accès réseau évolué, le support en temps réel à l’apprentissage ainsi que la réduction à sa plus basse expression des coûts afférents, notamment ceux reliés aux immobilisations, processus et personnels qui ne sont pas en première ligne.

Ces nouveaux réseaux auront aussi comme caractéristique de s’appuyer sur une configuration optimale de ressources virtuelles, physiques et humaines.

1.3. L’efficience de marché et les nouvelles plateformes liées à l’emploi (EtoE et EtoB)

Il y a enfin une troisième source de création de valeur sur laquelle il nous faut particulièrement insister, car elle sera à notre avis au cœur de la concurrence à venir entre les réseaux actuels et ceux de prochaine génération. Il s’agit de l’efficience de marché, ou plus spécifiquement la création de plateformes de type Smart Work qui permettront une meilleure intégration au marché de l’emploi (EtoE) et une meilleure formation continue en contexte de travail (EtoB).

1.3.1 Le EtoE

Tout d’abord, nous nous attendons à des développements majeurs du côté de la création de produits et plateformes favorisant le passage optimal entre le monde de l’éducation et celui du travail. L’intérêt pour de tels développements est facile à comprendre. Le EtoE est l’endroit où réside la plus grande valeur marchande. C’est aussi le talon d’Achille des réseaux actuels.

Il faut savoir en effet que la qualité de l’intégration EtoE est à la base de la forte croissance enregistrée par les nombreuses écoles spécialisées (ingénierie, informatique, commerce, sciences appliquées, etc.) au cours des dernières décennies.

Cette croissance est imputable d’une part à la popularité grandissante de leurs programmes auprès d’employeurs qui y recrutent abondamment et financent au passage diverses initiatives et programmes de recherches. Mais cette croissance est aussi redevable à la popularité de telles écoles auprès d’apprenants qui profitent d’une éducation générale assortie de compétences spécifiques leur permettant d’accéder plus facilement à des emplois de qualité dans un contexte pénalisant de plus en plus lourdement les jeunes se limitant à des formations générales.

Compte tenu de la détérioration du marché de l’emploi pour les jeunes et la valeur en nette progression de telles filières, il est clair que l’on assistera au cours des prochaines années à une forte poussée des investissements dans le développement de produits et d’architectures spécifiques au segment du EtoE.

Je m’attends personnellement à ce que les nouveaux réseaux profitent de leurs avantages concurrentiels à recruter les ressources convenant le mieux à ce segment pour miser à fond sur des programmes et formations de types tech-smart, make-smart, work-smart et team-smart. À l’inverse, on peut s’attendre à ce que cette tendance envers le EtoE pénalise lourdement les approches et les produits de type book-smart qui sont actuellement l’apanage des réseaux académiques actuels, y compris de plusieurs écoles spécialisées qui risquent de connaitre une forte concurrence dans les années à venir.

Or, qu’on se le dise, cette évolution vers le EtoE, pour autant qu’elle soit bien gérée et qu’un bon équilibre soit maintenu, profitera à l’ensemble. Elle permettra de s’attaquer à l’une des grandes faiblesses historiques de nos systèmes éducatifs et formatifs: le fait que la grande majorité des apprenants et des employeurs aient été jusqu’à ce jour pénalisé par un profil d’apprentissage académique ne leur convenant pas. Un profil qui la plupart du temps conduit à un amas de connaissances et de compétences trop souvent incomplet et inopérant.

1.3.2. Le marché de la formation en emploi (EtoB)

Nous pensons que ce marché va croitre fortement au cours des prochaines décennies au point de devenir une des grandes cibles de prédilection des nouveaux réseaux. Les raisons sont simples. Avec une population qui vit plus longtemps, des emplois de qualité de plus en plus difficiles à obtenir et à conserver, un marché de l’emploi de plus en plus précaire, spécialisé, compétitif et dans lequel la performance relègue de plus en plus loin l’expérience et surtout l’ancienneté, il est clair que nos gens devront redoubler d’ardeur pour travailler sans cesse plus intelligemment. En d’autres mots, s’ils ne veulent pas devenir les illettrés du 21e siècle, nos gens devront apprendre à apprendre et désapprendre pour mieux apprendre.

Histoire de mieux saisir la valeur intrinsèque du marché EtoB, il nous faut réaliser que nous parlons ici d’une clientèle disposant déjà de revenus importants, voire d’une aide de l’État et d’une contribution de l’entreprise. Il s’agit aussi d’une clientèle qui n’a pas tout l’avenir devant elle et qui est pleinement consciente des défis qui l’attendent. Nous avons ainsi affaire à une clientèle dont une partie grandissante n’hésitera pas à prendre les moyens pour protéger ses revenus et son mode de vie, et ce de façon récurrente. Bref, voilà autant de raisons pour voir dans le EtoB un marché dont la taille pourrait éventuellement transcender tout le reste du secteur.

À notre avis, la croissance de ce segment s’articulera autour des trois grands objectifs suivant: l’augmentation en temps réel de la performance au travail, l’accroissement de la longévité professionnelle et l’augmentation de la performance et de la compétitivité des organisations. Trois raisons qui ajoutent considérablement à la valeur de ce marché.

Cela dit, une réserve d’importance est de mise. À ce jour, le marché de la formation en emploi a toujours posé un problème à la fois pour nos systèmes éducatifs traditionnels ainsi que pour nos entreprises spécialisées en formation. À la base, ce problème est celui d’une offre trop souvent académique, des modèles et outils pédagogiques dépassés, mais surtout de contenus et de formateurs dont la valeur réelle des contributions s’est trop souvent révélée en deçà des attentes.

Grâce aux nouveaux joueurs, disposant désormais de technologies et des moyens leur permettant de recruter les meilleures ressources de la planète et de programmer leurs contributions via des applications à la fine pointe comme des simulateurs ou des cours-réalité sur les meilleures pratiques mondiales, il deviendra désormais possible de changer fondamentalement et de multiplier la valeur intrinsèque de la formation.

Pour cette raison, nous nous attendons à ce que d’ici les prochaines années nombre d’entreprises et de nouveaux réseaux travaillent d’arrache-pied avec des employeurs et des contributeurs émérites pour développer des produits et de plateformes intégrées EtoB qui vont faire exploser la valeur de ce marché.

 2. Un marché favorisant les nouveaux joueurs

Même si le marché applicatif et celui des opérateurs de réseaux de prochaine génération sont encore au stade du démarrage, il y a tout de même des indications claires que ces deux marchés vont connaitre une forte expansion.

Pourquoi un tel optimisme? La réponse est simple. Comme nous l’avons observé lors de la phase d’émergence des secteurs de l’informatique, des jeux vidéo, de l’internet, des nouveaux médias et du commerce électronique, les facteurs sont déjà en place pour conduire à un succès comparable.

Tout d’abord, pour peu que l’on veuille pousser l’analyse, il est clair que nous sommes de plus en plus en présence de joueurs nettement plus fonctionnels que leur contrepartie actuelle. Nous avons des joueurs ayant une vision de l’avenir, une intelligence de l’apprentissage, une flexibilité et une capacité technologique et financière leur permettant déjà de se développer à un rythme plus rapide que les fournisseurs et les réseaux actuels. Dans plusieurs cas, nous parlons d’entreprises dont les technologies, les processus d’affaires et les ressources organisationnelles sont le prolongement parfait de leur réussite dans les secteurs connexes comme ceux des médias, des applications et de l’accès à l’information et au savoir.

Ce sont aussi des entreprises pour qui l’attrait de ce marché de l’apprentissage va bien au-delà d’offrir des périphériques, des applications et des infrastructures visant à simplement à faire de nos enseignants des Betty Crocker du numérique éducatif. Leur intérêt envers ce marché est beaucoup plus fondamental. Nous avons affaire désormais avec des entreprises qui comprennent la valeur technologique, marchande et stratégique de ce marché mondial.

Ce sont des entreprises qui savent percevoir des besoins majeurs non desservis. Des entreprises qui savent concevoir des produits et des outils les plus susceptibles de faire une différence pour les apprenants et les employeurs. Ce sont aussi des entreprises qui savent identifier les lacunes des joueurs établis. Ils savent aussi intégrer les meilleures ressources, les organiser pour donner naissance à une suite d’innovation récurrente à haute valeur ajoutée. Ce sont des entreprises qui savent, à l’instar de ce qui s’est passé dans les secteurs des communications, des médias, de l’information et du savoir, que la formation et l’éducation sont à la veille de passer entre les mains de ceux qui maitrisent le mieux les atouts de la révolution numérique.

Et surtout, ce sont des entreprises qui savent mieux que quiconque comment des innovations technologiques et l’éclosion de nouvelles entreprises dans ce secteur d’une aussi grande taille et d’une importance aussi capitale pour l’économie et la société peut rapidement changer la donne stratégique parmi les entreprises dominantes.

Ainsi, il n’est pas difficile de prédire que la participation de nouveaux joueurs d’importance dans le secteur de la formation et de l’éducation reste à venir. Compte tenu de leurs atouts, pas besoin d’être devin pour prédire que ces nouveaux joueurs ont de fortes chances de réussir à s’imposer sur les joueurs actuels.

Pas besoin non plus d’être un fin stratège pour comprendre à quelle vitesse les employeurs et les apprenants vont se précipiter vers ces nouvelles offres une fois que celles-ci auront commencé à montrer leur potentiel. Pas besoin non plus d’être un expert en gouvernance publique pour prédire que nos gouvernements seront éventuellement des plus enclins à profiter de l’opportunité de se sortir de ce bourbier financier pour concentrer leurs ressources sur ce qui compte le plus, soient l’accès universel à une éducation et une formation de qualité et le développement d’une édustrie nationale exportable. Tout cela, bien sûr en prenant en considération que ces nouveaux réseaux auront démontré préalablement qu’ils sont désormais plus porteurs pour le développement économique et social que ne le sont les réseaux actuels.

3. La disparition annoncée des joueurs actuels

Enfin, la troisième condition allant nous conduire à une révolution dans le monde de la formation et de l’éducation concerne l’énorme difficulté à laquelle nos réseaux et nos entreprises devront faire face au cours des prochaines années.   Comme la figure 1 le suggérait, trois raisons nous poussent à croire que ces derniers ne survivront vraisemblablement pas à la concurrence à venir et qu’ils ne pourront continuer à pénaliser les autres parties prenantes.

3.1. L’absence de ressources stratégiques

Premièrement, à y regarder de près on se rend compte que nos systèmes actuels n’ont pas les ressources stratégiques nécessaires à leur repositionnement. Ils n’ont pas les ressources financières, le management, la capacité à intégrer les nouvelles technologies et les produits et processus d’apprentissage de prochaine génération qui seront la pierre d’assise de la performance des nouveaux réseaux.

Or, cette situation ne va que s’empirer. En effet, la mondialisation et la consolidation à venir de nos structures industrielles nationales, font qu’il est acquis que les subsides de l’État vont continuer de diminuer au fil des prochaines années.

De plus, les marchés locaux pour l’éducation, la formation et la recherche vont souffrir de la concentration et du déplacement des emplois de qualité vers les grands marchés stratégiques de la planète.

Dans le cas spécifique des réseaux éducatifs, cette diminution des revenus, couplée avec l’arrivée de puissants concurrents, va accroître les problèmes déjà criants d’immobilisations vétustes ainsi que celui de la hausse de coûts inhérente à des pyramides d’emplois rigidifiés par des conventions de travail et des coûts fixes difficilement compressibles.

En bout de piste, ce qui s’annonce déjà comme une crise financière va pénaliser lourdement le réoutillage et le repositionnement des réseaux actuels pour suivre la cadence imposée par les nouveaux joueurs.

Cela dit, le problème des ressources stratégiques ne sera pas simplement d’ordre financier. Comparés aux nouveaux  concurrents, nos réseaux actuels devront aussi composer avec d’autres lacunes importantes, notamment sur le plan de leur capacité à intégrer les nouvelles technologies. Il leur faudra aussi combler des lacunes évidentes au plan managérial en se dotant de ressources aguerries à la gestion en contexte d’innovation et de forte concurrence. C’est un défi qui s’annonce en soi très difficile à relever dans un contexte où les ressources sont limitées et les pratiques relèvent d’un long conditionnement historique.

3.2. Des stratégies désormais inopérantes

Comme si le problème des ressources stratégiques n’était pas déjà un problème suffisant en soi, les réseaux actuels vont devoir composer avec des modèles d’affaires et des stratégies allant devenir rapidement inopérantes. Aux fins de la présente discussion, je vais m’en tenir aux trois prédictions suivantes.

  • La commoditisation des programmes généraux. Premièrement, je m’attends à ce que les programmes d’enseignement de base, qui sont actuellement le pain et le beurre des réseaux actuels, soient commoditisés. D’une part, ces programmes vont subir de plein fouet l’assaut des contenus libres disponibles sur internet, celui des MOOCs certifiés, des contenus freemium payés par la publicité et l’achalandage, ainsi que les affronts de produits loss leader et de contenus prémium en fin de cycle qui seront offert gratuitement par les nouveaux concurrents. Mais surtout, nos réseaux actuels vont devoir composer la concurrence provenant de contenus riches et améliorés en provenance d’un marché applicatif qui va non seulement banaliser les contenus actuels, mais également forcer les réseaux établis à utiliser des contenus et des applications externes allant à la fois grever davantage leur budget et mettre en contradiction les contenus et les ressources internes. Ainsi, en tenant compte d’un économique plus favorable des nouveaux joueurs et de plus grands moyens, on peut s’attendre à une forte diminution des rentrées d’argent au niveau des programmes de base.
  • La perte des segments lucratifs. Deuxièmement, nous y avons fait allusion précédemment, on s’attend à ce que les nouveaux réseaux ciblent en priorité les marchés les plus lucratifs. Grâce à l’attrait et à la flexibilité qu’ils auront pour se doter des meilleures ressources planétaires, ainsi qu’aux grandes économies d’échelle qu’ils pourront réaliser, je m’attends à ce que les nouveaux réseaux se taillent rapidement une part du lion dans le marché lucratif des écoles spécialisées. Au risque de pousser le scénario un peu trop loin au goût de certains, je ne serais pas surpris qu’on assiste au cours de la prochaine décennie au début d’un effet domino. Une sorte d’effondrement en série par l’entremise duquel nombre d’écoles spécialisées disparaitraient ou seraient forcées de se reconfigurer afin de joindre les rangs de réseaux mondiaux spécialisés. Des réseaux désormais en mesure d’attirer les meilleures recrues de partout, d’offrir les formations les plus avancées, d’offrir le meilleur bassin de ressources pour la recherche, des partenariats de classe mondiale et les meilleures perspectives d’emplois ou de perfectionnement pour les différentes catégories d’apprenants. Ainsi, au lieu d’écoles nationales à rayonnement international, il ne serait pas surprenant de voir des universités mondiales spécialisées émerger sur des segments précis comme ceux de la robotique, le pharmaceutique, l’ingénierie, le transport, la gestion, l’informatique, la génétique, la finance et le commerce. Car soyons clairs, ce sont des domaines d’études dont les ressources gagnent à se mondialiser, d’autant que ce sont des secteurs qui sont habités par des entreprises mondiales dont les stratégies de recrutement et de création de valeur transcendent ce que des écoles nationales sont en mesure d’offrir présentement tant au plan de la formation, de la recherche et du recrutement.
  • La perte de traction de l’académique. Troisièmement, nous y avons fait aussi déjà fait allusion, les nouveaux réseaux vont complètement changer la donne stratégique en nous attaquant en parallèle aux marchés du EtoE et du EtoB. Je m’attends d’ailleurs à ce que leur stratégie tire immensément avantage de la synergie entre le EtoE et le EtoB. À l’inverse, je m’attends à ce que cette synergie ait un effet dévastateur sur les réseaux essentiellement dotés de ressources et de processus axés sur l’académique.

3.3. Une incapacité à gérer le changement radical

Enfin, nous voici rendus à la dernière grande raison en vertu de laquelle nous pensons que nos réseaux actuels ne parviendrons pas dans la grande majorité des cas à se transformer. Cette raison est celle de l’incapacité de ce genre d’organisations à réaliser un changement aussi radical. Quatre éléments suivants justifient ce pronostic défavorable dans ce cas-ci.

Premièrement, au plan organisationnel le secteur de l’éducation est caractérisé par une panoplie de composantes distinctes dont les principes historiques d’indépendance et d’autonomie n’ont pas permis de faire émerger un leadership, une vision et une stratégie d’ensemble. Au lieu, nous avons des réseaux composés de fiefs académiques et administratifs dont les pratiques ont été rigidifiées à l’extrême par une hypersyndicalisation et un corporatisme très étroit. L’absence de couplages organisationnels souples et d’une courroie d’entrainement rend ainsi pratiquement impossible aujourd’hui la capacité de ces organisations à suivre le rythme des changements imposés par les nouveaux concurrents. Changer de telles organisations relève en soi d’un défi hors du commun.

Deuxièmement, la culture de nos réseaux pose un problème tout aussi criant en termes d’inertie. On le sait, le secteur de l’éducation a été depuis fort longtemps conditionné par un mur de verre le séparant du monde réel. Au lieu d’une culture axée sur la performance, l’innovation, la collaboration et les partenariats, de vastes pans de nos réseaux actuels sont plutôt conditionnés par une culture individualiste, corporatiste, syndicaliste, idéaliste, irréaliste et phagocytaire. Tout ceci rend la nécessité de changer une réalité encore très lointaine, minoritaire et fortement contraire à l’intérêt de la grande majorité des acteurs.

Troisièmement, le secteur souffre d’un sérieux problème de gouvernance et d’imputabilité. On y observe des parties prenantes dont le rapport de force est faussé par une gouvernance politique laxiste et échaudée par le galvaudage parfois éhonté des parties prenantes appuyant leurs revendications sur une aura institutionnelle surfaite et des principes nobles – comme l’indépendance académique, l’accès universel, l’importance de la recherche fondamentale – servant trop souvent à masquer des problèmes de qualité, de gaspillage et un opportunisme flagrant. On doit aussi composer avec des acteurs élevés en vase clos qui font preuve d’un manque de vision et d’indépendance pour aller outre le statu quo. Nous sommes aussi en présence de parties prenantes dont les actions se payent avec l’argent des autres et qui ne sont pas imputables directement et immédiatement des actions et des décisions qu’ils prennent.

Enfin, le secteur continue à vivre de l’illusion d’être la source privilégiée du changement, et ce, sans avoir les gens, l’expertise et la mobilisation nécessaires. Or, comme l’analyse de nombreux cas de transformation le confirme, il est extrêmement rare que le changement provienne des joueurs établis. La plupart du temps, ces derniers y consacrent les plus grands efforts mais ces efforts se soldent généralement par un gaspillage monstrueux d’argent, de temps et de talents. Qui plus est, on se rend compte qu’on a laissé filer des opportunités majeures qui auraient été mieux développées par des joueurs externes et autonomes. Les causes de ces échecs répétés tournent généralement autour des quatre considérations suivantes:

  • le problème du faux départ. Le temps qu’on arrive à un consensus pour permettre l’expression du nouveau modèle à l’intérieur d’une organisation établie fait en sorte que les nouveaux concurrents ont déjà une longueur d’avance quasi insurmontable. Qui plus est, les compromis obtenus au départ sont tels qu’ils laissent rarement les coudées franches à la nouvelle entité pour agir à armes égales avec la concurrence. La plupart du temps on n’a fait que ménager le chou et la chèvre. Après coup, on se rend compte que la nouvelle entité n’avait ni la liberté, d’agir ni la détermination à sens unique de ses concurrents.
  • l’absence des compétences et de la capacité d’exécution à l’interne. Or, ce problème est de taille et trop souvent sous-estimé. Dans la plupart des cas de transformations ayant échoué, la nouveauté fait appel à un composite de ressources internes enthousiastes et d’autres, plus opportunistes, qui voient dans la nouveauté une occasion de gravir les échelons et de mieux se positionner quoiqu’il arrive. Au-delà de quelques ressources d’exception, on se retrouve rapidement avec une structure d’exécution qui a ni le pragmatisme, l’expérience ou l’influence pour commander le changement au sein de l’organisation-hôte et encore moins comme c’est le cas chez les nouveaux joueurs.
  • La faiblesse intrinsèque du modèle partenarial externe. Pour compenser de telles lacunes au niveau du leadership et des compétences, on s’en remet généralement à des fournisseurs de technologies et surtout des partenaires d’intégration. Dans les deux cas, l’on se retrouve généralement à donner les clés à des ressources qui ne sont pas aussi dédiées, compétentes et imputables de la réussite du projet que le sont les ressources chez les nouveaux joueurs qui eux sont pleinement dédiés et cautionnés par des actionnaires ayant pleinement approuvés leurs actions. Pour eux ces derniers, c’est une question de do or die. À l’inverse, pour les fournisseurs et les intégrateurs, on en vient souvent à se contenter de livrer les contributions et à se délester de la responsabilité d’assurer la réussite du projet, surtout lorsqu’on sent que le succès ne sera pas au rendez-vous.
  • La cohabitation impossible de deux modèles de développement aux antipodes. Dès que la lune de miel est terminée et que le nouveau modèle montre les premiers signes qu’il ne peut endiguer la perte de ressources et combler le retard sur ses concurrents, la situation se complique et la cohabitation se dégrade. Cette détérioration de la performance mène inévitablement à des compromis intenables qui relancent de plus belle les guerres de tranchées entre les tenants du vieux modèle et du nouveau, entre ceux qui achètent du temps de retraite et ceux qui croient en l’avenir, entre les plus vieux et les plus jeunes, entre ceux qui restent et ceux qui se sont servis de ce tremplin pour quitter le navire et d’autres heureux d’avoir pris du galon, mais qui n’y croit plus.

Conclusion

À l’issue de ce texte, trois conclusions s’imposent à notre avis.

La première conclusion, et sans doute la plus importante, est qu’il ne saurait y avoir de doutes. Nous allons assister à une révolution dans les secteurs de l’éducation et de la formation au cours de la prochaine décennie. Tout indique que l’offre va se modifier radicalement et se révéler nettement favorable pour les apprenants, employeurs, contribuables, et réseaux qui auront compris la nature des changements à venir.

La deuxième conclusion est qu’il nous faut être désormais réalistes quant à l’avenir de nos systèmes actuels et aux directions qui les animent. Sans en appeler à leur remplacement immédiat, le fait est qu’il nous parait préjudiciable de laisser les réseaux actuels complètement contrôler la vision, les processus décisionnels et les moyens financiers comme c’est le cas présentement. Cette mise en garde est d’autant plus importante que nous avons actuellement la possibilité d’éviter des fuites en avant qui vont vraisemblablement se solder par un grand gaspillage de temps, d’argent et de talents.

La troisième conclusion découle de la précédente. Elle est à l’effet que nous sommes en plein dans la fenêtre d’opportunité qui nous permet de favoriser l’émergence de joueurs de prochaine génération. Des joueurs dont l’ADN pur est le seul nous permettant réellement de placer des joueurs importants sur l’échiquier de demain. C’est important de le voir ainsi car sans de tels joueurs il nous sera difficile d’être en synchronisme avec une économie mondiale qui promet d’être beaucoup plus pénalisante pour les nations et les individus qui seront à la traîne en matière d’apprentissage et de développement du capital humain.

2 réactions au sujet de « Vers une révolution parfaite en éducation et en formation »

  • 8 octobre 2014 à 15:38
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    Une passionnante vision de l’avenir de nos système éducatifs que je partage pleinement côté France.
    Dommage que vos articles ne soient pas accompagnés des balises twitter, google+ etc…. afin que nous puissions les diffuser!

    • 9 octobre 2014 à 09:47
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      Merci pour ce commentaire et pour la suggestion.

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