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Je ne donne pas cher de la peau de nos systèmes éducatifs actuels. D’ailleurs, je m’attends à ce que d’ici quinze ans le secteur ait fait l’objet de l’une des plus importantes prises de contrôle de l’histoire économique moderne. L’une des principales raisons derrière ce pronostic peu rassurant concerne le développement à venir d’un marché applicatif mondial. Un marché dont la proposition de valeur s’avèrera nettement supérieure à celle que nos systèmes traditionnels seront en mesure de déployer.
Quelles considérations vont conduire à la formation de ce marché applicatif? Quels seront les caractéristiques et les avantages de ce marché? En quoi ce marché surpassera-t-il nos systèmes actuels? Qui trônera au sommet de cette nouvelle pyramide? Quelle stratégie le Québec devra-t-il adopter pour se positionner face à un tel changement? Voilà autant de questions auxquelles nous tentons de répondre.
1. Quelles considérations vont conduire à une prise de contrôle du marché mondial de l’éducation?
Trois considérations dictent généralement le degré de réussite d’une prise de contrôle par de nouveaux joueurs. Premièrement, ceux-ci doivent avoir une profonde motivation à agir de la sorte. Deuxièmement, ils doivent avoir les moyens pour soutenir leurs actions. Troisièmement, ils doivent avoir des atouts leur permettant d’exploiter les faiblesses des joueurs existants. Le secteur de l’éducation répond parfaitement à ces trois conditions.
Un marché très attrayant
Le marché de l’éducation est excessivement attrayant pour de nouveaux joueurs. Qu’il suffise pour s’en convaincre de souligner sa taille colossale. Au Québec, on parle d’une dépense brute annuelle à des fins d’enseignement de plus de 20 milliards de dollars. Le marché est encore plus important si l’on ajoute la formation en entreprises et la formation continue hors du système actuel. Au Canada, on parle d’une dépense publique annuelle en enseignement qui excède les 100 milliards de dollars. Aux États-Unis, le budget annuel consolidé des diverses administrations publiques atteint actuellement le trillion de dollars. À l’échelle planétaire, on parle d’une dépense dont le multiple pourrait se situer entre 10 à 20 fois celui des États-Unis.
Comme si sa taille actuelle du marché de l’éducation ne suffisait pas, sa croissance est loin d’être saturée. En effet, tout indique que des segments importants de ce marché pourraient connaître une forte poussée de croissance au cours des prochaines décennies. La raison principale: le rythme accéléré de changements technologiques et économiques imposé par une concurrence de plus en plus intense à l’échelle planétaire. Une concurrence qui relègue aux oubliettes la fameuse société des loisirs et la retraite dorée à 55 ans.
Au lieu, nous entrons désormais dans une nouvelle phase où la quête de productivité et de compétitivité nous obligera — surtout les plus jeunes — à nous soumettre désormais à un environnement de travail beaucoup plus long et intense ainsi qu’à des formations sans cesse plus pointues et continues. Sans cela, ni nos gens ni nos entreprises ne pourront maintenir leur niveau de compétitivité à l’échelle mondiale. Ce niveau de compétitivité devenant l’étalon unique pouvant garantir notre niveau de vie.
Bref, il n’est pas nécessaire d’insister davantage sur cette première condition. Le secteur de l’éducation est en soi extrêmement attrayant financièrement pour de nouveaux joueurs et il le sera encore davantage dans les années à venir.
De nouveaux joueurs avec de puissants moyens
La seconde condition nécessaire à une prise de contrôle dépend des moyens dont disposeront les nouveaux joueurs pour occuper ce marché. Or, on n’a pas besoin d’être fin stratège pour comprendre que le secteur a de quoi attirer des joueurs ayant les moyens de leurs actions. Non seulement le marché de l’éducation génère une manne colossale attrayante en soi, mais il doit aussi être désormais considéré comme un marché stratégique pour des entreprises de classe mondiale.
En raison de l’évolution technologique prévue et la similitude des processus d’affaires, le secteur de l’éducation a de quoi fortement intéresser les grandes firmes de l’informatique et de l’internet ainsi que les équipementiers et les grandes entreprises de l’édition et de l’information. Des entreprises qui voudront rivaliser avec tous les moyens à leur disposition pour ne pas perdre leur momentum stratégique aux mains de concurrents qui pourraient se servir de ce marché pour les déborder.
C’est aussi un marché qui promet d’attirer une panoplie d’entreprises spécialisées dont le haut degré d’innovation et les opportunités d’affaires ne manqueront pas d’intéresser les firmes de capital de risque.
Pour ceux qui douteraient de la mouvance dans cette direction, je vous invite à regarder ce qui se passe actuellement au niveau des investissements des grandes corporations (Google, IBM, Apple, Cisco, etc.) en matière d’éducation. Encore plus révélatrice est la forte éclosion à laquelle nous assistons actuellement au niveau d’entreprises éducatives spécialisées. Des entreprises qui cumulent annuellement des centaines de millions de dollars en investissements et dont la tendance va en s’accélérant.
De multiples plages de débarquement
La troisième condition d’une prise de contrôle — et non la moindre — concerne la possibilité pour de nouveaux joueurs de convertir l’attrait du marché et les moyens dont ils disposent en opportunités stratégiques. Cette conversion est uniquement possible lorsque les nouveaux joueurs parviennent à convertir les failles de leurs adversaires en plages d’opportunités ou de débarquement.
Le tableau 1 donne un aperçu des facteurs-clés de succès dans le secteur. La colonne de gauche répertorie les principales faiblesses des systèmes éducatifs nationaux. La colonne de droite met en évidence les plages d’opportunités correspondantes pouvant faciliter la prise de contrôle du secteur par de nouveaux joueurs. (cliquez sur tableau pour agrandir image)
Tableau 1
Facteurs conduisant à une prise de contrôle du marché mondial de l’éducation
Source: Normand Lamothe, 2014
Une tempête stratégique parfaite
Lorsqu’on analyse les trois conditions précédentes (motivation/moyen/opportunité), on en vient à conclure que le secteur de l’éducation a de fortes probabilités de vivre une tempête stratégique parfaite. Par tempête stratégique parfaite, nous entendons :
- Un marché dont l’attrait est maximum;
- Un marché saturé et mal servi par des joueurs affaiblis, peu agiles et limités dans leurs déplacements et leur potentiel de développement;
- Un marché dont les nouveaux concurrents seront en mesure de déloger avec une facilité déconcertante les joueurs actuels
- Un marché renouvelé dont la nouvelle offre fera davantage l’affaire des étudiants, des parents, des employeurs, des contribuables, des gouvernements et même des ressources-clés du secteur qui ne demandent pas mieux que l’on reconnaisse davantage leur contribution et que l’on redonne une nouvelle impulsion au secteur.