Cet article a aussi été publié sur le Huffington Post.
Le débat sur la réussite éducative a pris un virage inattendu la semaine dernière alors que le ministre Proulx annonçait coup sur coup son initiative lab-école et sa nouvelle politique de l’activité physique On bouge!. La première annonce table sur trois personnalités connues dont la réussite en architecture et dans le développement de saines habitudes de vie serviront à inspirer un renouveau dans nos écoles. Son budget opérationnel: 7,5 millions étalé sur cinq ans. Le volet-école de la nouvelle politique de l’activité physique a comme pièce maîtresse le programme Force 4. Un programme développé par l’entreprise Défi Pierre Lavoie, le leader emblématique du renouveau de l’activité physique de masse au Québec. DPL obtient un contrat de six millions de dollars étalé sur trois ans pour faire bouger nos jeunes dans les écoles du Québec.
La critique ne s’est pas fait attendre: le ministre renie la contribution de son ministère! Il bafoue l’effort de ses gestionnaires et le travail des enseignants! Nos éducateurs physiques sont payés pour faire cela, pourquoi payer le privé pour réinventer le bouton à quatre trous! Une autre décision d’en haut! Un affront à la démocratie scolaire! Pas les bonnes priorités! Autres lubies ministérielles! Le gouvernement donne encore aux amis du régime! Bref, beaucoup de réactions dignes du réflexe: les barbares sont à nos portes, repoussons-les. Pourtant, au moment où ces critiques fusaient, plusieurs enseignants jubilaient à l’idée et la Fédération des professeurs d’éducation physique (FÉÉPEQ) faisait connaître son appui enthousiaste à cette initiative!
Avouons que malgré les changements dans tous les secteurs, le réflexe phagocytaire reste encore bien présent dans le monde de l’éducation. Cela dit, il faut aussi reconnaître que le ministre et son entourage ont improvisé, sinon quelque peu négligé le travail de terrain. En effet, jusqu’à la semaine dernière, personne n’aurait pu prédire que les habitudes de vie et l’activité physique dans nos écoles allaient prendre le haut du pavé dans la discussion sur la réussite éducative et les priorités budgétaires.
Malgré la vaste consultation entreprise par le ministre au cours des derniers mois, jamais cette préoccupation n’avait été abordée autrement que par des acteurs externes ou des intervenants de moindre influence, du moins si on les compare aux syndicats et aux directions d’établissement.
Pourtant, depuis des années, la Fondation Chagnon et d’autres acteurs ne cessent de marteler que l’enjeu de l’activité physique et des saines habitudes de vie est déterminant à la fois pour le bon fonctionnement de l’école et pour la société québécoise dans son ensemble.
Un enjeu majeur
Nos spécialistes de la santé et nos éducateurs physiques sont également catégoriques sur l’importance de cet enjeu. Vers une catastrophe titrait la Presse la semaine dernière en relatant la diminution importante de la capacité respiratoire des jeunes au cours des dernières décennies. Nos jeunes n’auraient plus la forme qu’on avait à leur âge. On dit même que plusieurs de nos vingt ans affichent un état de santé se comparant à des personnes de 40 ans.
La mise à jour de l’étude de l’ISQ sur la santé des jeunes nous en dira plus lorsqu’elle sera disponible l’an prochain, mais pour l’instant il n’y a pas meilleure source que les échos alarmants des gens sur le terrain. Leur constat est clair. Jamais, dans notre histoire, nos jeunes, comme beaucoup d’entre nous du reste, n’ont été aussi sédentaires et peu enclins à l’activité physique. Les écrans, les sucres, la malbouffe, les drogues, les stimulants, le manque de sommeil et le reste constituent aujourd’hui un cocktail explosif annonçant une tempête sur plusieurs fronts : obésité, hypertension artérielle, diabète, dégénérescence squelettique et vasculaire, stress et autres symptômes précurseurs de troubles mentaux à venir.
Ce n’est pas rien, puisque non seulement ce bilan de santé négatif a une incidence directe sur la persévérance et la performance scolaire à tous les niveaux de scolarité, mais en plus, ramenée à l’échelle de la population, cette problématique remet directement en cause la performance future de notre économie et le financement de notre système de santé. Déjà qu’on devait composer avec une société vieillissante, voilà maintenant que la population active serait désormais à risque de connaître, plus tôt que plus tard, une maladie dégénérative importante, voire un vieillissement prématuré exigeant des soins chroniques coûteux!
Dans un tel contexte, on comprend mieux pourquoi le ministre a pris sur lui d’écouter les sages parmi nous plutôt que persister dans la voie des récriminations habituelles. Une sage décision, s’il en est une, à partir du moment où l’on comprend que l’école est, comme elle l’a été sur la question de l’environnement ces dernières années, le lieu par excellence pour faire de la sensibilisation et de la prévention.
Un modèle trop compétitif et pas assez participatif
Si l’initiative du ministre a de quoi nous rassurer, il faut cependant comprendre que c’est la logique d’ensemble qu’il faudra aussi revoir.
Beaucoup de temps s’est écoulé depuis les longues marches populaires vers l’école et les jeux collectifs durant la récréation et le midi. La marche a été remplacée par le transport solitaire au coin de la rue sinon à la porte, tandis que les jeux ont été remplacés par le sport organisé duquel les jeunes ont été nombreux à décrocher.
On a depuis beaucoup compté sur les cours d’éducation physique, mais pour bon nombre d’entre nous ces cours se sont révélés trop rigides, techniques et cérébraux. On a privilégié les épreuves et la maîtrise technique à l’art de jouer et s’amuser. Pire encore on a discriminé en partant en donnant la récompense des meilleures notes aux plus doués et à ceux déjà plus actifs. Pas fort!
Puis, il y a eu la fuite en avant. Le sport de compétition a pris le relais. Il a donné naissance à des roitelets. Les investissements dans les grandes infrastructures sportives sont devenus une source de bombage de torse pour certains gestionnaires académiques. On a aussi instrumentalisé le sport comme source d’octroi budgétaire et comme facteur de concurrence entre les établissements. Pas fort, encore!
Pendant ce temps, alors que les plus sportifs d’entre nous s’en donnaient à cœur joie, le reste, c’est-à-dire la grande majorité, optait pour un mode de vie pris d’assaut par la performance académique, le travail pour la consommation présente et un monde virtuel de plus en plus passif.
Un vent de renouveau
Le ministre a raison de prioriser l’activité physique dans nos écoles. Il a aussi raison de le faire sur une autre base que la mécanique budgétaire usuelle du plus de profs, plus d’équipements. Donnons aussi au ministre le mérite d’avoir reconnu l’aspect probant d’une méthode et d’un programme (Force 4) déjà largement applaudi par les jeunes, les parents et les intervenants.
Reconnaissons aussi à cette initiative le mérite de redonner à l’école une dynamique participative nettement plus inclusive.
Enfin, le ministre a aussi raison de vouloir injecter du sang neuf dans le système. Pour réussir aujourd’hui, il faut compter sur ceux qui, à l’interne et à l’externe, sont capables d’innover, investir, développer, mobiliser, déployer et améliorer en continu des solutions voulues sur le terrain.
Espérons que cette initiative ne se transformera pas en course à obstacles, mais qu’elle tracera plutôt la voie à d’autres initiatives du genre! À quand des programmes et des outils aussi inspirants, mobilisateurs et probants pour l’enseignement du français, des sciences et des autres matières?