À la fin des années 70, le Québec posa un geste historique qui sauva littéralement notre économie. On changea la gouvernance du système et l’on se dota d’organisations de prochaine génération qui nous relancèrent fortement. Aujourd’hui, c’est ce genre de gestes dont nous avons besoin pour relancer notre système d’éducation.
Rappelons le contexte économique précédent. À l’image de notre système d’éducation actuel, nous venions de passer les dernières décennies à croire dans un modèle autocentré, dirigiste et subventionnaire. En l’espace de quelques années, ce modèle avait fait du Québec la juridiction la plus endettée, fonctionnarisée et syndiquée en Amérique du Nord.
On se rappellera aussi un paysage industriel jonché de canards boiteux, d’éléphants blancs, d’organismes et de sociétés d’État incapables de rivaliser avec les nouveaux modèles d’affaires de l’époque. On fait référence ici aux multinationales, aux pays à bas salaires et aux régions industrielles à haut indice de productivité et d’innovation.
Comment s’y est-on pris pour relancer notre économie ? J’espère ne rien vous apprendre en vous disant que ce ne fut pas grâce à des consultations publiques, des comités d’experts, ni une intelligentsia économique et politique ressourcée aux données économiques probantes.
Non. On a simplement donné plus de pouvoir à nos bâtisseurs, nos innovateurs, et nos gens d’action. À l’inverse, nous avons réduit le pouvoir des syndicats, de la technocratie d’État et de politiciens trop habitués à se faire élire à coups de subventions et de politiques nous ayant mal préparés à la mondialisation.
Grâce à ce changement de gouvernance, le Québec consolida ses marchés. Nos entrepreneurs partirent à la conquête d’actifs et de marchés étrangers qui nous furent salutaires. L’on évita de justesse une prise de contrôle de notre économie par des entreprises canadiennes et étrangères. Quelle Révolution tranquille c’eût été !
Quelques années plus tard, notre économie comptait sur de nouveaux pôles industriels de classe mondiale, des métiers d’avenir, une créativité, un entrepreneuriat, des travailleurs engagés et une richesse dont on imagine mal ce que le Québec serait devenu sans elle.
Quel rapport avec l’éducation me direz-vous ? La réponse est simple. Notre modèle éducatif arrive à un tournant similaire. Sa gouvernance n’est pas sans rappeler l’enchevêtrement qu’était notre gouvernance économique à l’époque. Les réflexes technocratiques, syndicalistes, corporatistes et politiques occupent trop de place dans la gouvernance du secteur pour que celui-ci joue le rôle d’avant-garde qu’on attend de lui.
Le monde de l’éducation baigne aussi dans la même illusion que le modèle subventionnaire précédent. On a beau faire les gorges chaudes sur le manque de financement en éducation, il reste que l’on sait tous d’instinct que notre dette et notre création de richesse ne nous permettent plus de faire mieux que courir d’un incendie médiatique à un autre.
Pendant ce temps, non seulement des besoins criants ne sont pas rencontrés parmi nos clientèles à risque, mais l’absence d’un modèle de financement suffisamment robuste fait en sorte que l’on est incapable de moderniser le système comme l’on devrait.
Ce faisant, moins nombreux sont nos gens qui peuvent participer à une course mondiale aux compétences qui ne cesse de s’intensifier. On aime croire que certaines de nos écoles privées et supérieures y parviennent, mais définitivement pas le reste. Pire encore, la recrudescence d’écoles sélectives fait que la situation se dégrade comme jamais auparavant pour ceux qui n’ont pas ce genre d’accès.
Enfin, il y a l’éléphant dans la pièce que personne ne veut voir. À l’instar de notre intelligentsia économique des années 60-70 qui était aveuglée par la valorisation de nos ressources, notre intelligentsia éducative a elle aussi une conception autocentrée. Une conception qui l’empêche de prendre la pleine mesure des innovations, de la mondialisation et des nouveaux modèles organisationnels qui vont impacter notre système d’éducation dans les années à venir.
Pourtant, les enjeux sont clairs. L’éducation se mondialise. On entre dans un cycle d’innovation et d’investissement qui va conduire à des contenus, des réseaux et des joueurs de classe mondiale qui vont complètement transformer la création de valeur et la concurrence dans ce secteur.
La prochaine décennie verra aussi une remise en question du modèle d’intermédiation académique. Nous entrons dans une ère où les technologies d’accès et de transfert en temps réel ainsi que les plateformes virtuelles et relationnelles vont rendre accessible, comme jamais auparavant, la compétence réelle. Par compétence réelle, on sous-entend les connaissances, le savoir-faire, l’expérience et les comportements d’individus et d’organisations qui excellent dans leur discipline respective.
Ainsi, on aura droit à des contenus et des réseaux qui vont conduire à des parcours et des environnements d’apprentissage moins abstraits, déphasés et déconnectés de la réalité que ceux auxquels le monde académique nous a habitués.
Déjà, on commence à avoir une bonne idée du scénario qui se dessine (Figure 1). On anticipe notamment une poussée innovatrice dans la création de systèmes et d’outils d’apprentissage plus réalistes et performants. On verra aussi une appropriation de ces innovations par des organisations fortement capitalisées qui profiteront d’économies à l’échelle mondiale. Cela va conduire à une migration massive de clientèles vers des offres d’une qualité inédite ainsi qu’une ouverture obligée des marchés nationaux où il y aura appropriation par ces nouveaux joueurs des meilleurs établissements et talents locaux. Enfin, la consolidation des systèmes nationaux dépassés conduira à la mondialisation du secteur.
Figure 1
Crise de l’éducation nationale et mondialisation
Dans un tel contexte, vous comprendrez que je n’accorde pas la même importance que d’autres aux priorités actuellement avancées par le milieu de l’éducation. Je fais référence ici à des propositions comme : l’école obligatoire de 4 à 18 ans; une plus grande autonomie aux directions d’école; la création d’un ordre professionnel des enseignants; et le resserrement professionnel de l’offre collégiale et universitaire.
Sans être contre, ce sont des correctifs qui ne tiennent pas compte de l’arrivée de systèmes supérieurs allant nous terrasser si rien n’est fait en ce sens.
Je doute aussi de la pertinence d’un institut gouvernemental sur l’excellence en éducation. Loin d’être l’outil probant qui saura mieux aiguiller le secteur, j’y vois plutôt un réflexe technocratique qui va conduire à un jeu de chaise musicale parmi nos chercheurs. J’imagine aussi la panoplie de rapports discordants arbitrés devant les mêmes instances avec les mêmes parties prenantes.
Je pense qu’il serait plus avisé de miser, comme dans les autres secteurs, sur l’excellence en provenance d’organisations de terrain. Je parle ici d’organisations pilotées par des innovateurs et des opérateurs qui sauront manier le talent sectoriel, les technologies et les capitaux nécessaires pour réussir à temps et aux endroits opportuns, ici comme ailleurs.
En terminant, je dirai simplement ceci. Ce qui va faire la différence dans les années à venir quant à la réussite ou non de notre système d’éducation, ce ne sera ni l’argent de l’État ni une science de l’éducation basée sur des systèmes académiques nationaux datant des années 60. Ce sera plutôt notre capacité à nous positionner sur des segments d’activités mondiaux comme le développement applicatif, le transfert de la compétence réelle, ainsi que le développement de composantes et de réseaux éducatifs de prochaine génération.
Or, sans une sorte de Québec inc. de l’éducation capable de relever ce genre de défis, je ne vois pas comment nous parviendrons à avoir suffisamment d’argent pour financer les investissements requis pour moderniser notre système. Je ne vois pas comment nous pourrons développer un talent sectoriel et des pôles d’excellence capables de contrer la concurrence étrangère. Je ne vois pas non plus comment nous allons pouvoir soutenir la compétence de nos gens et la compétitivité de notre économie. Bref, sans une telle armada, je ne vois pas comment nous allons réussir à empêcher ce secteur de devenir l’industrie du taxi de demain.
De grâce, ne soyons pas la génération qui marchera la tête basse pour avoir servi ce secteur d’avenir sur un plateau d’argent à d’autres que nous alors qu’on aurait pu en profiter. N’ayons pas à verser des centaines de millions en primes annuelles à des fins d’importations et pour éponger des pertes d’emplois dans ce grand secteur, faute d’avoir compris et agi à temps. N’ayons pas pour seul recours de lever des pancartes dans cinq à dix ans quand il sera trop tard et que l’on n’aura pas le choix de sacrifier cet autre secteur sur l’autel des prochaines grandes ententes sur le libre-échange.
Réalisons plutôt à quel point ce secteur est stratégique pour notre avenir. Comprenons ce qu’investir en éducation signifie réellement de nos jours. Comprenons aussi que notre réussite éducative va bien au-delà du sens qu’on lui donne actuellement. Ainsi, on saura mieux quel genre de réforme, de gouvernance et d’organisations dont ce secteur a besoin pour le bien de tous.