Éducation : La nouvelle Révolution tranquille dont le Québec a désormais grand besoin

Les tenants de la Révolution tranquille aiment bien rappeler cette période comme étant celle où le Québec s’est donné les moyens de construire son avenir. Cependant, ils omettent souvent de dire que nous allions être sans cesse obligés de les rebâtir sinon les remplacer pour parvenir à nos fins.

Jacques Parizeau, grand bâtisseur de l’État qu’il fut, dut lui-même appliquer cette importante leçon pour mettre fin à la gestion industrielle étatique désastreuse des années 60-70 au profit d’une gestion plus entrepreneuriale de notre économie.

Sans le Québec inc., nous serions aujourd’hui aux prises avec une économie moribonde, dominée par des entreprises venues d’ailleurs, et incapable de supporter ses acquis sociaux.

Pendant ce temps, l’autre pièce maîtresse de la Révolution tranquille, celle de l’éducation, n’allait jamais connaître une transformation similaire, avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui. Ce fut d’ailleurs l’un des reproches les plus lucides que Lucien Bouchard s’attribua il y a quelques années.

Alors qu’un nouveau gouvernement prend place, il est temps de jeter un nouveau regard sur notre système d’éducation. Non sans comprendre d’abord l’ampleur des défis auxquels le Québec est désormais confronté, mais aussi en quoi les promesses du nouveau gouvernement risquent de se révéler insuffisantes s’il se limite au présent cadre de son intervention.

Un rôle plus important que jamais

Alors que nous continuons de nous enfoncer dans des débats sociaux qui ne vont pas chercher le meilleur de nous-mêmes, notamment ceux sur l’immigration et la laïcité, c’est sur le plan économique que les défis de fond continuent de se tramer.

Malgré la belle embellie que nous connaissons, le Québec continue de s’enfoncer en raison de son grave retard sur le plan de l’investissement industriel, de l’innovation et de la productivité.

Pire encore, la négociation de l’AEUMC est venue rappeler à quel point plusieurs de grands secteurs de notre économie sont désormais à risque de voir les prochaines négociations commerciales menées à la disparition des règles d’exclusion les protégeant de la concurrence étrangère.

C’est majeur puisqu’une incapacité de notre part à relayer de telles entreprises pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la classe moyenne, les revenus de l’État, les régions et les emplois de qualité.

Et comme si cela ne représentait pas un défi énorme en soi dans un environnement aussi concurrentiel, nous risquons d’avoir à composer avec l’effet boomerang d’une économie ayant carburé trop longtemps aux stimulants économiques que sont l’endettement, les taux d’intérêt anormalement bas, le Klondike des infrastructures et un pouvoir d’achat fondé sur des produits importés dont les prix risquent d’augmenter fortement.

Bref, au même titre qu’il aurait été impensable de moderniser notre économie dans les années 60 sans faire de même avec notre système d’éducation, il en va de même aujourd’hui alors que le secteur de l’éducation devra jouer un rôle plus important que jamais pour rehausser fortement le niveau de compétence de nos gens, de nos institutions et de nos entreprises.

Un bilan peu rassurant

Le problème avec l’idée de compter sur une telle montée en puissance de ce secteur, c’est qu’elle est tout simplement irréaliste dans les conditions actuelles.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le bilan des trente dernières années du secteur, à commencer par les nombreux cadavres jonchant le cimetière de ce ministère et la faiblesse chronique d’indicateurs clés comme ceux relatifs au décrochage, à l’obtention des diplômes, aux résultats scolaires, au taux anormalement élevé d’analphabétisme et au nombre de parcours n’offrant pas les débouchés souhaités.

S’ajoutent à cela des problèmes de gouvernance, notamment des structures administratives inutilement complexes et une gestion financière minée par l’incapacité des acteurs du système à concrétiser la valeur réellement stratégique des investissements dans ce secteur.

Quant aux solutions actuellement préconisées, il est difficile de prétendre à une vision, des atouts, et un engagement réellement porteur d’avenir. Comprenons que lorsqu’on parle de valorisation des employés, de réfection des écoles et de ménages administratifs, il s’agit en fait de correctifs et d’améliorations à la marge.

Le véritable problème

La figure 1 illustre la véritable étendue du problème et le genre de solutions requises. C’est à la fois une question de contenu, d’organisation et de gouvernance.

Sur le plan des contenus, le constat est indéniable. Pendant que des secteurs similaires — comme ceux des médias, des communications et des applications — innovent de manière magistrale, le secteur de l’éducation continue de crouler sous le poids de mécanismes archaïques de production de contenus. Il en résulte des cours et des parcours trop passifs, abstraits, désuets, inutilement complexes, coûteux et trop souvent inintéressants et démotivants.

Disons cela différemment. Sans son monopole sur l’émission des diplômes, auxquels la maîtrise de ces contenus donne droit, ils seraient balayés du revers de la main et remplacés par mieux.

Le système actuel croule aussi sous le poids d’un mode de transmission du savoir par le recours à des intermédiaires qui évoluent trop souvent en vase clos et sous l’emprise d’une formation initiale, de normes professionnelles et syndicales rigides, de modèles pédagogiques dépassés et d’intérêts trop souvent personnels plutôt qu’en lien direct avec les besoins réels des apprenants et des milieux dans lesquels ces derniers devront évolués.

Dans le contexte des outils technologiques, de nouveaux modèles organisationnels désormais possibles, de tels mécanismes, contraintes et biais ne peuvent plus prétendre à un modèle optimal d’acquisition et de transmission de connaissances et de compétences.

Sur le plan de la gouvernance, le constat n’est guère plus positif. La gouverne du secteur est beaucoup trop politique et bureaucratique et axée sur un jeu à somme nulle entre les multiples intervenants. Mais surtout, elle n’est pas suffisamment innovante et entrepreneuriale sauf pour quelques composantes sélectives du système abondamment citées en exemple.

Trois pistes de changement

Si le Québec veut vraiment progresser dans les années à venir, trois choses devront changer dans notre système d’éducation. Premièrement, il faudra investir dans des contenus, technologies et nouveaux modèles organisationnels plus performants afin de permettre à nos gens de tous âges d’apprendre plus, ce qu’il y a de mieux, des meilleurs, et ce, de manière plus efficace, flexible, accessible et personnalisée.

C’est la transformation dans laquelle le marché mondial de l’éducation et de la formation est désormais engagé. Et c’est ce qui dictera non seulement notre progression collective, mais si ce grand levier sera encore sous notre contrôle et parmi les gagnants à la suite de sa transformation.

Deuxièmement, pour aspirer à rehausser significativement la compétence de nos gens, il faut absolument trouver notre manière de marier ce que le monde académique a de mieux à offrir avec ce qui est devenu aujourd’hui le véritable nerf de la guerre de la nouvelle économie du savoir : le transfert de la compétence de terrain en provenance de ceux qui excellent dans leur domaine respectif, peu importe les domaines.

Concrètement, ce deuxième point revient à miser dès à présent sur des outils, organisations, mesures incitatives et plateformes collaboratives de prochaine génération pour capturer cette compétence et l’internaliser efficacement au sein des différentes composantes du système, à commencer par nos universités, CÉGEPS, écoles de formation et centres de recherche.

Je rappelle que tous les pays ayant connu une croissance prodigieuse durant les dernières décennies ont compris à la fois l’importance de moderniser leur système d’éducation, mais aussi de maximiser de tels transferts en ne faisant aucun compromis sur leur qualité, leur provenance et la performance des structures impliquées dans ce processus. Et ce sera encore plus vrai à l’avenir.

Or, j’ose le dire, hormis quelques composantes mieux nanties, privilégiées et innovatrices, notre système d’éducation a une philosophie et une pratique institutionnelle faisant piètre figure sur le plan du transfert des compétences de pointe.

Troisièmement, il nous faut une gouvernance plus innovante et entrepreneuriale de manière à ce que le secteur puisse suffisamment augmenter les compétences à tous âges et ainsi retrouver les appuis financiers et politiques nécessaires à des investissements réellement stratégiques.

Pour un véritable gouvernement du changement

Comme la grande majorité des Québécois, j’applaudis la volonté de changement du nouveau gouvernement, mais je l’implore d’élargir son cadre d’intervention en matière d’éducation et de formation. Dans le contexte d’aujourd’hui, le Québec ne peut plus se satisfaire d’améliorations basées sur un modèle révolu.

D’une part, il faut comprendre ce que seront les facteurs de réussite à l’issue de la transformation du marché mondial de l’éducation et de la formation. D’autre part, il faut réaliser à quel point notre réussite collective et la propriété de cet important levier dépendront de notre positionnement sur ce marché aussi vital que stratégique pour notre avenir.

Sans négliger le reste, j’invite aussi le gouvernement à accorder beaucoup plus d’importance que ces prédécesseurs aux secteurs de l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle et de la formation continue. C’est vital.

Mais surtout, j’encourage le Premier ministre à insuffler une nouvelle dynamique de changement entre les différents acteurs du domaine de l’Éducation, de l’Emploi, des Sciences et de l’Économie afin qu’ils travaillent ensemble à ce chantier porteur d’avenir qu’est celui du rehaussement profitable et généralisé de nos compétences collectives.

Osons cette nouvelle révolution tranquille et le reste suivra.